Un beau jour de printemps
de Yiyun Li

critiqué par Jfp, le 10 décembre 2011
(La Selle en Hermoy (Loiret) - 76 ans)


La note:  étoiles
loin de tian'anmen...
Une bombe! On a beaucoup dit et écrit sur la Chine, surtout depuis les massacres de la place Tian'anmen, survenus à Pékin en 1989. Pourtant, la grogne faisait rage déjà depuis longtemps, et parfois loin de la capitale. Dans ce roman de Yiyun Li, magnifié par la traduction de François Rose, nous sommes dans une petite ville de province, peu après la chute de la "bande des quatre", commandée par la veuve de MaoZedong. Après les ravages de la "Révolution culturelle", les aspirations à la démocratie se font jour même dans les endroits les plus reculés de l'empire. A l'occasion de la condamnation à mort de la jeune GuShan, une ex-garde rouge qui a osé critiquer le régime et demander pardon pour les atrocités qu'elle avait commises au nom de sa foi communiste, les consciences des villageois vont se réveiller. Pendant ce temps, dans la capitale, une lutte se joue entre deux clans opposés. Tel est l'arrière-plan de cette vaste fresque, qui peint le quotidien pour atteindre à l'universel. Les personnages sont nombreux, qu'il s'agisse de Nini, la jeune infirme avide d'amour, du professeur Gu, qui confond encore lâcheté et sagesse, de Kai, l'artiste à la voix d'or au service du Parti, de Kwen, Bashi, et tant d'autres, tous aussi attachants les uns que les autres. Le temps de la lecture, nous vivons pleinement en compagnie des acteurs principaux du drame qui va se nouer. L'écriture est simple, sans artifices, il s'agit avant tout d'un témoignage, brutal, sur les ravages d'une pensée politique érigée en système mafieux.
...où comment la politique rattrape les individus. 8 étoiles

C'est dans un contexte historique bien précis évoqué précédemment, le Mouvement du Mur de la Démocratie à Pékin (fin 1978-fin 1979) que prend place le récit de Yiyun Li qu'elle situe dans une ville de province éloignée de la capitale, récit du sursaut d'une conscience politique impitoyablement réprimée par un pouvoir autoritaire.
Le Parti omniprésent décide et impose la voie à suivre soi-disant pour le bien du peuple; les publications interdites sont brûlées, les survivances de croyances et coutumes anciennes réprimées; on enseigne aux enfants qu'ils sont ceux "du Parti avant d'être ceux de (leurs) parents" et l'on se doit d'assister aux séances de dénonciation publique sous peine d'être accusés de non loyauté au régime ; monde déshumanisé où l'on va jusqu'à faire payer aux parents le prix dérisoire de la balle qui doit tuer leur fille condamnée pour écrits non conformes.

D'emblée, l'auteure nous introduit sans ménagement (timorés s'abstenir) en ce jour fatidique d'équinoxe de printemps où, pour une partie de la population de Rivière-Fangeuse, le monde va bientôt basculer à l'instar du rapport entre la lumière et l'obscurité.
La mise à mort de Shan - dans des conditions atroces et en dehors des procédures normales -va entraîner un véritable séisme "pour chacune de ces pauvres âmes que ces évènements précipiteraient au fond de l'abîme. "
Le récit se déroule sur quelques semaines seulement au cours desquelles l'auteure va suivre une dizaine de personnages principaux plus ou moins liés entre eux, au sein de familles différentes, et explorer l'impact en cascade des évènements sur ces individualités disparates. Il en ressort une galerie de portraits plus ou moins fouillés et attachants qui à eux tous incarnent de multiples facettes de cette société chinoise. Certains vont se caractériser notamment par leur positionnement vis-à-vis du pouvoir, d’autres, marginaux, qui tenteront de trouver leur propre voie vers le bonheur seront inéluctablement rattrapés par la machine à broyer. Quelques mentions furtives de personnages anonymes viennent conforter cette dimension d'histoire collective à laquelle personne ne peut échapper.

Ce n'est sûrement pas un hasard si les personnages d'activistes restent (à mon sens) un peu désincarnés par rapport à d'autres plus finement ciselés qui attirent notre (enfin, ma) sympathie; il en est ainsi de Nini et de ses rêves touchants, Nini née déjà victime des égarements de la Révolution Culturelle. De même le professeur Gu, survivant contre-révolutionnaire passif et résigné, qui sentant sa fin prochaine, déçu et amer , libèrera sa parole dont on ne doute pas qu'elle soit celle de Yiyun Li, dénonçant à la fois le régime et toutes les révolutions :
"ce qui aura marqué notre ère (...) le gémissement de nos os broyés sous le poids des mots creux"
"qu'est ce que la révolution, sinon une façon systématique pour une partie de l'espèce humaine d'en dévorer une autre?"
mais aussi toutes les manœuvres d'instrumentalisation et de récupération à des fins politiques, voire par exemple le comportement du directeur du petit Tong :
"le garçon était une ardoise vierge qu'il pouvait colorer à sa guise, en rouge ou en noir, cela dépendait de son propre génie. "

Le titre original "Les vagabonds" fait sans doute référence au couple Hua, ce couple de mendiants au grand cœur qui récupérait les bébés abandonnés de sexe féminin. Probablement, en choisissant ce titre, l'auteure avait-elle souhaité mettre l'accent sur une dimension de lumière et d'espoir ; l'éditeur aura préféré sans vergogne et non sans humour noir un titre présumé plus vendeur.

A noter que Yiyun LI, américaine d'origine chinoise, née en 1972 a vécu à Pékin jusqu'à l'âge de 24 ans. Elle avait donc 7 ans au moment du temps du roman.

Au final: je dirais qu'il s'agit d'un roman fort, intense, de par le sujet traité ; le talent de conteuse de Yiyun Li s'y révèle dans la vie qu'elle parvient à insuffler à ses personnages et la manière dont elle construit l'enchaînement implacable des évènements et leur impact sur leurs vies ; néanmoins cela ne suffit pas (selon moi) à occulter une écriture souvent assez impersonnelle qui ne la propulse pas (ou pas encore) au rang des grands écrivains.

Myrco - village de l'Orne - 75 ans - 27 septembre 2013


Quelle journée de printemps ! 7 étoiles

Le titre de ce roman aurait pu évoquer une douce journée de printemps avec de jolies balades dans la nature qui s'éveille, mais ce n'est pas le cas. Ce fameux beau jour de printemps chinois est marqué par une exécution, celle de Gu Shan, une jeune femme de 28 ans, considérée comme une dissidente. Tout ceci fait en grande pompe. Le peuple se rassemble, est invité à condamner la coupable. La délation devient parfois un moyen de survie. "1984" n'est pas bien loin. On se méfie de ses voisins, on fait attention à ce que l'on dit afin de ne pas être le prochain sacrifié. Tout autour de cette exécution, c'est la ville de Rivière-Fangeuse qui prend vie. On suit la pauvre Nini, infirme et fardeau pour ses parents, le jeune Tang très proche de son chien Oreille, Bashi, garçon peu commun et peu intégré, Kai, la célèbre présentatrice ... On suit donc ce microcosme dans une Chine effrayante qui dénature l'être humain. Les personnages ont des défauts physiques, leur corps est parfois meurtri, torturé. Moralement, certaines réactions peuvent décontenancer un lecteur occidental. Les êtres pensent tout simplement à leur survie, parce qu'ils n'ont pas le choix. Ils sont parfois bestiaux : un pauvre chien reçoit une machette entre les deux yeux et agonise sur le sol. Un pauvre hérisson se retrouve dans de l'argile et cuit vif. Le cadavre de la pauvre Gu Shan aura un traitement tout aussi écœurant.

Le monde dépeint dans ce roman est sombre. Les êtres tentent de se révolter ou de faire avancer les choses, mais dans ce pays nul ne peut s'affirmer en tant qu'individu. Il y a des valeurs et des ordres qu'il faut suivre et attention à celui qui ne suit pas le bon chemin. Il est assez affolant de voir combien parfois une simple signature, un simple mensonge ou une accusation injustifiée peuvent entraîner des conséquences aussi graves.

Grâce à la structure du roman, l'on peut suivre tous ces personnages qui se démènent avec le quotidien. Contrairement à certains lecteurs, je n'ai pas ressenti de sympathie pour ces personnages, je ne les ai pas détestés pour autant. Le style simple rappelle un peu le style d'une chronique, mais manque un peu de personnalité.

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 20 septembre 2013


Accumulation de petits faits anodins 6 étoiles

Ce livre n'est pas complètement mauvais mais il n'est pas très bon non plus. L'écriture est plus qu'ordinaire et le style m'a très vite lassée. L'auteur a choisi de mettre en scène une foule de personnages plus ou moins intéressants pour dépeindre un événement tragique soit l'exécution de Gu Shan, une contre-révolutionnaire selon les autorités chinoises. On suit donc les moindres faits et gestes de chacun dans les moindres détails et c'est cela qui est agaçant. Un jeune garçon qui cherche son chien, des vieillards répétant les mêmes gestes depuis des années, un vieux professeur qui perd la boule, une fillette handicapée rendant visite à un ami etc. Ce récit m'a valu quelques soupirs exaspérés. Si au moins l'écriture était un tant soit peu belle et le vocabulaire recherché mais il n'en est rien. Est-ce un style à la mode en Chine d'écrire de cette façon ? Pourquoi ne pas avoir soigné l'écriture et le style afin de faire mieux passer l'absence d'action et cette abondance de petits faits anodins constituant le quotidien de citoyens chinois assez ordinaires et peu intéressants ? Bien sûr le message politique est clair mais ce n'est pas suffisant pour en faire un bon livre. Bref, je n'ai pas aimé mais pas détesté non plus.

Dirlandaise - Québec - 69 ans - 8 septembre 2013


Le parti 10 étoiles

Ce roman ne fait pas dans la dentelle. Tout au long de multiples petites histoires reliées se dégage une critique virulente du régime communiste chinois ; son intransigeance, sa corruption et sa violence. Une phrase percutante illustre bien la force de frappe de l’auteure : « Il n’aurait jamais imaginé que sa femme et lui devaient payer la balle qui allait tuer leur fille, mais à quoi bon s’élever contre cette absurdité, puisqu’il n’était pas en position de contester quoi que ce soit ? »

Yiyun Li est américaine. Son regard est externe. Sa description du milieu provincial, de ses croyances et ses traditions, est donc tout autant corrosive. Elle met en scène des personnages qui semblent parfois empruntés à un conte de Grimm. Des gens d’une grande méchanceté dont les actions donnent lieu à des moments d’une cruauté sidérante. Malgré tout, on les aime, parce qu’en quelque sorte, ils sont les victimes de leur société.

Sans artifices, le souffle de ce livre repose strictement sur un talent pour raconter des histoires. J’ai été secoué. Un roman bouleversant mais passionnant.

Aaro-Benjamin G. - Montréal - 55 ans - 8 août 2013


A l'aube du 19 mars 1979 9 étoiles

A l'aube du 19 mars 1979, dans la petite ville de Rivière-Fangeuse, Gu Shan, une ancienne garde rouge va être exécutée après 10 ans de prison.
A travers des personnages de cette ville, l'auteur va nous montrer l'implacable machine à broyer les individus qui tentent de s'opposer au régime du moment.
Un moment de lecture exceptionnel avec un premier livre hypnotique!

Koudoux - SART - 60 ans - 19 juillet 2013


Chine post-Mao : le Grand Bond … en arrière 8 étoiles

Yiyun Li a écrit ce roman en américain, aux USA. On comprend pourquoi. Rarement lu un roman chinois qui décrit aussi crûment l’inhumanité du régime démentiel et schizophrène chinois, dans ce cas précis dans l’immédiat post-Maoïsme.
Il est préférable d’avoir l’esprit blindé pour attaquer « Un beau jour de printemps ». C’est que le « beau jour » en question est le jour de l’exécution, publique, de Gu Shan, une jeune femme ex-Garde Rouge devenue dissidente. Comme, de surcroît, Yiyun Li colle à la réalité, sordide et désespérante, de la Chine (au moins d’autrefois), c’est plutôt le trip « haut le cœur » que « hauts les cœurs » !
Nous sommes à Rivière Fangeuse, petite ville provinciale chinoise loin des centres de décision, et Gu Shan donc, va être, est exécutée. Yiyun Li nous fait vivre ce jour et quelques autres après avec une partie de la population de Rivière Fangeuse : ses parents, des notables et de simples quidams de Rivière Fangeuse. Yiyun Li nous décrit la naissance d’une tentative de protestation vis-à-vis de ce qui est vécu comme une injustice, comme un acte barbare par certains. Naissance d’une dissidence en quelque sorte. Naissance et répression. Ca aurait pu marcher, Yiyun Li nous décrit les potentats locaux en attente de l’attitude officielle du pouvoir à Pékin vis-à-vis d’un « Mur de la Démocratie » qui vient d’être érigé … mais le balancier part dans le sens « orthodoxe » – je veux dire répression – et une nouvelle exécution de jeune femme s’ajoutera à celle de Gu Shan.
Peu de plages de respiration, d’espoir, dans ce roman. A l’image de ce qui se passait (passe ?) en Chine à cette époque. Noir c’est noir et surtout pas d’espoir !

« Pour le Pr Gu,le 21 Mars 1979 commença avant même le lever du soleil, quand, à peine éveillé, il trouva sa femme sanglotant sans bruit sous sa couverture. C’était l’équinoxe de printemps, un jour d’égalité, comme il se l’était dit plus d’une fois en songeant à cette date. La vie de leur fille allait prendre fin aujourd’hui où ne domineraient ni le soleil ni son ombre. »

Tistou - - 68 ans - 22 mai 2013


La bonne façon de penser ! 9 étoiles

Romancière américaine d'origine chinoise née en 1972, Yiyun Li vit aujourd'hui à Oakland, en Californie.
"Un beau jour de printemps" est son premier roman.

L'action se déroule à Rivière-Fangeuse, petite ville de la Chine profonde en 1979.
L'exécution publique de Gu Shan, ancienne garde rouge passée dans le camp de la dissidence, est l'événement du jour. Une contre révolutionnaire de 28 ans qui a pris le risque de penser par elle-même plutôt que d'adhérer au raisonnement de la masse invisible. Une femme responsable de l'avenir de sa nation et qui s'est élevée avec courage contre un système corrompu.
Toute la population doit assister aux séances de dénonciation de la contre révolutionnaire et prendre la mesure de la réponse du Parti envers les insoumis.
L'humiliation et l'exécution pour marquer les esprits.
Sur fond de torture, de prélèvement d'organes et de disparition du corps, un vent de résistance populaire s'abat sur Rivière-Fangeuse.
Une évocation poétique et barbare de ce que pouvait être une journée "type" dans la République Populaire de Chine en 1979.
Autour de cet événement, une galerie de personnages très attachants, luttant pour vivre et se taire.
Un roman historique, qui dénonce la cruauté du pouvoir communiste et la force de ces milliers d'individus aux petites vies remplies d'espoir et d'amour.

440 pages qui passent vite, trop vite.
Nini et Bashi qui outrepassent les obstacles du quotidien par l'Amour .
Une extraordinaire premier roman.
J'ai A-DO-Ré !

Frunny - PARIS - 59 ans - 18 mai 2013


le battement de l'aile d'un papillon 9 étoiles

Un beau jour de printemps est un livre beau, fort et pudique sur la vie et la société chinoise. A plusieurs reprises, j'ai vérifié l'époque où se passaient les évènements qui y sont décrits. 1979. Après ma naissance. En refermant le livre, je me suis dit que j'avais quand même sacrément de la chance d'être née en France.
Pour en revenir à Un beau jour de printemps, ce livre est porté par l'écriture précise et impartiale de l'auteure (et de sa traductrice). Sans emphase ni effet de style, elle nous immerge dans le petit village de Rivière Fangeuse, nous introduit auprès de ses habitants, tisse des liens entre eux, nous fait partager le cours de leurs pensées et leur mode de vie, et effleurer du doigt les conséquences du régime politique encore en œuvre en Chine. Sans éclats, sans pamphlet, sans jugement, Yiyun Li nous livre des tranches de vie, des personnages dont on se dit qu'on pourrait les reconnaitre dans la rue si on les croisait. Elle ne dénonce pas, elle témoigne, sans jamais tomber dans la facilité. Il en ressort un livre coup de poing délivré sans violence, et dont la conclusion est que ceux qui vivent là-bas ont une pilule bien amère à avaler. Mais qu'ils n'ont d'autre choix que de l'avaler.

Ellane92 - Boulogne-Billancourt - 49 ans - 19 mars 2013