L'orchestre rouge
de Gilles Perrault

critiqué par Radetsky, le 1 décembre 2011
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Le jeu du chat nazi et de la souris communiste
Gilles Perrault a effectué un véritable travail de bénédictin afin de restituer l'histoire du plus efficace réseau d'espionnage ayant opéré contre l'Allemagne nazie. Leopold Trepper, juif polonais et communiste aura été un génie de l'efficacité et de la clairvoyance. Malgré cela, ses chefs moscovites ne tiendront aucun compte de ses renseignements et de ses avertissements quant aux projets militaires d'Hitler. "Die Rote Kapelle" étendra ses ramifications dans toute l'Europe occupée, en un réseau étroitement cloisonné et redoutablement efficace, au point que le responsable de l'Abwehr (le renseignement allemand) affirmera que le travail de Trepper aura coûté à la Wehrmacht au moins 200.000 morts dans ses opérations à l'est. Trepper a été suivi, traqué, par toutes les polices allemandes, gestapo en tête et même pris, à Paris, mais il réussira à s'échapper pour retourner dans l'ombre parachever son travail de maître espion hors pair. Gilles Perrault rend dans cet ouvrage hommage et justice à tous les combattants de ce réseau exemplaire, jusqu'au plus humble d'entre eux, jusqu'aux déportés, torturés, exécutés, hommes et femmes confondus, qui ont rendu possible et Stalingrad et le débarquement, car tout se tient dans les conséquences incalculables d'un bon ou d'un mauvais renseignement. Il ne manque pas de brosser un portrait complet des adversaires de Trepper, les Himmler, Müller (Gestapo-Müller), Borman et quantité d'autres, établissant les liens, les rivalités, les règlements de comptes, l'opiniâtreté, les vices et l'acharnement dont ils auront fait preuve en toutes circonstances contre l'Orchestre Rouge. Sans oublier la postérité de l'action menée par Trepper, devenu l'adversaire de tous après 1945, des Alliés comme des Soviétiques, tant ses connaissances et son engagement feront peur, dans le contexte de la guerre froide. Il aura connu aussi la Loubianka, sinistre prison du NKVD, puis du KGB, sous des accusations farfelues et mal fagotées des staliniens visant à éliminer cet homme qui en savait trop sur tout le monde, sur les faiblesses, la négligence, l'incompétence et la vanité des puissants, alors que le danger menaçait. Justice lui sera rendue, dans son pays, et publiquement, vingt ans après la fin de la guerre. Alors, et seulement alors, il pourra prendre sa retraite, terme à la limite de l'incongru pour un pareil bonhomme. Il symbolisa le triomphe de l'intelligence, de l'astuce, de la conviction, sur la bêtise, la force et la bestialité. Tous les hommes libres aujourd'hui devraient lui élever des statues, cultiver sa mémoire et tirer bien des leçons de son engagement et de ses actions.