Poussières de la route
de Henri Calet

critiqué par Terpsichore, le 13 août 2002
(Marseille - 55 ans)


La note:  étoiles
Henri Calet : la littérature à la paresseuse
Quel intérêt peut-on bien trouver à la description des "festivités du bimillénaire" dans le quatorzième arrondissement de Paris ? Quel plaisir peut procurer le récit d'une journée à la piscine de Levallois-Perret, d'une croisière qui ne dépasse pas les rives de la Seine, ou encore d'une visite médicale dans un dispensaire ? Comment captiver, toucher ou amuser un lecteur, à partir de trames narratives si dérisoires et ténues ? Henri Calet réussit ce tour de force, accomplit ce petit miracle littéraire dans ses chroniques.
La virtuosité et l'originalité de Calet proviennent de son regard. Le regard décalé d'un voyageur qui traverse nonchalamment le monde et l'existence, sans y prendre part, tour à tour spectateur attentif, charmé par l'univers qui l'entoure, et observateur désenchanté de la France d'après-guerre. Et ce regard-là est si singulier, si attachant, qu'on suit le chroniqueur-vagabond jusqu'au bout de ses non-aventures.
Mais qu'on ne s'y trompe pas : la paresseuse nonchalance de Calet n'est qu'apparente ; c'est une posture élégante et digne, opposée à la laideur du monde en ruines d'après-guerre. Car ce dilettante des lettres a , en réalité, beaucoup travaillé et beaucoup produit après la Libération. Des chroniques, pour de nombreux journaux -la plupart, surtout celles des dernières années de la vie de Calet, sont rassemblées dans le présent recueil "Poussières de la route"- , et plusieurs ouvrages, entre 1945 et 1950 : "le Tout sur le Tout", singulier livre-hybride entre roman et autobiographie, "Rêver à la Suisse", amusante pochade sur "le pays où l'on meurt en cueillant des édelweiss", et "l'Italie à la paresseuse", ou comment flâner 8 jours en Italie sans rien voir de ses plus belles villes. Calet travaille aussi beaucoup son style. Rapporteur attentif des petits et grands événements du quotidien, il s'attache à les relater et à les poétiser, usant à cet effet de métaphores inventives, d'images inattendues, drôles ou émouvantes, qui font le bonheur du lecteur. Sous sa plume imaginative, la mort devient un déménagement : "(...)devant la haute maison blanche où n'habite plus Léon-Paul Fargue. Il a déménagé. Il a pris ses quartiers d'un éternel hiver dans des régions moins tapageuses que les nôtres, sinon moins peuplées. A un de ces jours !"(p.124); l'homme de Paris désireux d'émigrer à la campagne se change en poireau : "les changements d'air trop brusques sont souvent dangereux. L'homme de Paris ne peut être, du jour au lendemain, repiqué en pleine terre, comme un simple poireau. De la prudence, procédons par étapes" (p.197) ; la nostalgie d'un lieu procure une douleur semblable à une rage de dents : "les vacances sont terminées, mais non pas oubliées déjà. J'ai encore la tête pleine d'herbes folles. Il me vient parfois un élancement de nostalgie, presque semblable aux premiers signes d'une rage de dents. Mais il ne s'agit pas de dents, c'est à la Normandie que j'ai un peu mal". (p.67); tandis que la Loire se transforme en une belle et insaisissable femme, avec qui Calet entretient une liaison passionnée : "elle coulant, moi roulant au galop de mes quatre chevaux de fer. Je m'étais promis de rester près d'elle le plus possible ; je la vis ouvrir les yeux(...) Mon dieu, qu'elle était agréable cette course côte à côte. A partir de là, nous ne nous sommes pour ainsi dire plus quittés." (p.159). Le plaisir éprouvé à la lecture de Calet tient aussi beaucoup, sans doute, à la notation de ses impressions, réflexions ironiques ou touchantes sur la vie, les hommes,le temps qui passe, dont il ponctue librement ses textes : "j'ai beaucoup aimé les dimanches. Si, à présent, je les aime moins, c'est peut-être parce que j'en ai trop vu ou bien que, d'une manière générale, je ne sache plus rien aimer autant qu'auparavant" (p.190) ; "je suis enclin de plus en plus à retourner sur mes pas. Petit Poucet grisonnant en quête des cailloux blancs qu'il a semés autrefois" (p.84) ;"les grands hommes meurent ; il est certain que les autres en font autant sans que cela se sache" (p.90).
On l'aura compris : Henri Calet n'est pas un simple chroniqueur, plutôt, un poète chronique, qui a su bâtir, avec les "poussières de la route" ramenées sous ses semelles de journaliste-vagabond, une oeuvre au charme puissant et singulier.
Un auteur à redécouvrir 9 étoiles

Henri Calet est un auteur de la première moitié du XX ème siècle, ses bouquins sont des trésors "Poussières de la route" mais aussi le "Tout sur le Tout" et "Monsieur Paul". Il y parle d'un Paris disparu avec des voitures à bras, des chanteurs de rue, des ouvriers... Superbe et nostalgique

Pierre Poupon - - 48 ans - 22 janvier 2013