Mémoires d'un amnésique
de Erik Satie

critiqué par AmauryWatremez, le 24 novembre 2011
(Evreux - 55 ans)


La note:  étoiles
Vie et mort de monsieur Erik Satie
« ... moi, je n'aime pas les pédagogues : je les connais trop ; car ce sont eux qui (d'une main sûre) embrouillent et ratatinent tout ce qu'ils touchent, par des pesées, des mensurations, et des dosages comiques, mais empoisonnés... »

dans « Écrits » de Erik Satie

(Écrits réunis par Ornella Volta, Éditions Champ Libre, 1981, p. 152)

Erik Satie est né à Honfleur en 1866, comme Alphonse Allais, autre grand humoriste doué, il est mort en 1925 apparemment, à moins qu'il ne se soit contenté simplement contenté de quitter notre dimension pour aller s'amuser dans une autre.

Avec Satie, il faut s'attendre à tout. Car il se permet tout, y compris d'introduire une machine à écrire et un pistolet dans un morceau joué par un orchestre symphonique, dans « Parade ».

Sa famille donc simplement terrestre quitte la Normandie en 1870 pour aller s'installer à Paris pour les affaires du père.

En 1872, quand leur mère meurt, Erik et son frère reviennent à Honfleur pour vivre avec leur grand-mère qu'ils perdent également en 1878, sur une plage de la Manche.

Son père s'étant remarié entre les deux évènements avec une jeune femme, professeur de piano, les deux garçons retournent de nouveau avec lui à Paris. La belle-mère de Satie essaie de lui inculquer les rudiments du solfège et son goût pour la musique des compositeurs reconnus par le conservatoire et l'académie. Il en conçoit donc assez vite une répugnance assez vive pour l'un et l'autre.

Quand il se souvient de sa jeunesse, il écrit : « Je suis venu au monde très jeune dans un temps très vieux ».

Il entre pourtant au conservatoire en 1879.

S'y montrant indocile et trop original aux yeux de ses maîtres, il en est exclu deux ans et demi après y être entré.

Il y est cependant réadmis en 1885 après avoir promis d'être plus respectueux de ses aînés, promesse qu'il ne tient pas très longtemps. Il décide alors, sous la pression pour se trouver une situation, de s'engager dans un régiment d'infanterie. Il tient deux ans et réussit à se faire réformer après avoir attrapé volontairement une congestion pulmonaire en exposant son torse au vent frais de l'hiver.

Il part donc en 1887 à Paris pour s'installer à Montmartre, tout d'abord au pied de la Butte, qu'il conquiert ensuite progressivement, pour s'installer rue Cortot en 1890. Il devient ami de Mallarmé et Verlaine. La même année, il compose les six Gymnopédies, qui semble facile à intepréter au point de vue technique par des interpètes, mais qui l'est un peu moins du point de vue des nuances et des sentiments que l'on y met : la solitude, la nostalgie, l'enfance, l'amour, deux ou trois gouttes de dérision subtile.

Après s'être installé rue Cortot, il fréquente assidûment « le Chat Noir » et surtout le cabaret d'un certain Gilles (qui avait un lapin, d'où le nom plus connu de son établissement, « le Lapin Agile »). Cet établissement deviendra plus tard encore un peu plus fameux comme atelier de Boronali, ce peintre moderne et abstrait d'un grand talent aux yeux des critiques et des mondains de son temps.

C'est au « Chat noir » qu'il devient ami avec Debussy, et qu'il accompagne parfois Vincent d'Hyspa, chansonnier de son époque, dans quelques chansons que Satie juge comme autant de fadaises, d'ailleurs parfois écrites par lui. Il a bien tort d'en avoir une si mauvaise opinion car « la Belle excentrique », « la diva de l'Empire » et « Je te veux » sont des chansons encore d'une célébrité sympathique de nos jours encore.

Il compose aussi en 1890 les « Gnossiennes » où il s'engage dans une voie à la fois méditatitve, les morceaux en eux-mêmes, et ironique, les indications de jeu pour le pianiste (« du bout de la langue », « vivache » etc...), avec quelques notations orientales.

Pour gagner un peu d'argent à partir de ces années là, il est déjà très pauvre, il écrit les « Pièces froides pour piano » (1893), « pantomime Jack in the box » (1899) et « un petit opéra pour marionnettes », « Geneviève de Brabant » (1899), en trois actes dont chacun dure moins de cinq minutes.

En 1891, Debussy et Satie s’engagent plus ou moins pour rire dans l’« Ordre kabbalistique de la Rose-Croix » fondé par le « sâr » Joséphin Péladan, dont les pétarades annoncent celles de Salvador Dali, le sâr étant lui-même « annoncé » par Robert de Montesquiou, et par Stanislas de Guaita, qui avait sur la chose un point de vue au premier degré.

On remarque que Satie ne fait pas qu'annoncer le sâr et ses disciples tardifs, mais aussi Jacques Tati, ils sont aussi doués pour l'humour à froid fin et élégant, ou Pierre Étaix, dont il partage le cynisme. Le gag « à la Tati » de Satie, c'est bien sûr la création de la « musique d'ameublement ». Il a lui-même créé le terme « musique d’ameublement » pour définir certaines de ses œuvres, signifiant par là qu'elles pouvaient fort bien convenir comme fond sonore agréable dans un intérieur bourgeois convenable et de haute tenue.

On retrouve de Satie dans Alexandre Vialatte, le même plaisir pris à se livrer à l'absurde le plus débridé, le même ton à la fois enfantin et désabusé, caustique et naïf, tout comme Marcel Aymé.

C'est un ordre ésotérique dans lequel on peut supposer Satie dubitatif. Il en composera néanmoins les fanfares et sonneries. Il compose entre autres les « Trois Préludes du Fils des étoiles » « wagnerie kaldéenne » sur un texte de Péladan.

On fera de cette œuvre une source d'inspiration de « Pelléas » de Debussy, ce que Satie reprochera beaucoup au « génie à front de taureau indochinois ».

Cet église fantaisiste annonce les délires des surréalistes et de Dada un peu plus tard.

Satie est là aussi un peu trop en avance cependant.

Pour s'amuser aux dépens des hommes graves et sérieux, Satie écrit tout un opéra farfelu à la gloire du Sâr, qu'il propose avec la complicité de Debussy à l'Opéra de Paris qui est à deux doigts de l'accepter. Les responsables de cette institution musicale et sévère ont cependant vent de la réputation du musicien et mettent fin à la farce qui fait beaucoup rire dans le Paris artiste et sans le sou de l'époque.

En 1893, il tombe amoureux fou de Suzanne Valadon, qui fait son portrait. Comme un enfant, il lui demande de se marier avec lui dés leur première nuit d'amour passée ensemble. L'artiste refuse, leur liaison dure cependant cinq mois, liaison auxquelle elle met fin brutalement, laissant Satie désespéré. Il faut dire que la vie en commun n'était pas de tout repos.

Comme beaucoup de créateurs inadaptés, mais talentueux, voire géniaux, Erik Satie était aussi parfaitement insupportable, alternant les sautes d'humeur avec des moments de grande euphorie.Il fait aussi la connaissance de Maurice Ravel la même année dont il dira plus tard non sans aigreur, car il est jaloux du succès rapide de Ravel : « Maurice Ravel a refusé la Légion d'honneur alors que toute sa musique l'accepte ».

En 1895, il fait un petit héritage, ce qui lui permet de se donner un autre style, moins « clergyman » et plus « dandy ». on le surnomme alors le « Velvet Gentleman » car il affecte de ne s'habiller qu'en velours.

Le pactole fondant très vite, Satie est un panier percé qui n'est pas prodigue de ses dons, il est obligé de quitter dans un premier temps son logement pour prendre une chambre rue Cortot. Il quitte Montmartre en 1897 pour son « ermitage d'Arcueil », une toute petite chambre.

Il reprend alors contact avec son frère, et abandonne ses divagations religieuses ésotérico-comiques.

Il pousse même le vice jusqu'à adopter le costume d'un « fonctionnaire bourgeois » en 1905 et de s'inscrire à la « Schola Cantorum » d'Albert Roussel. Il y étudie le contrepoint classique, est très sage quelque temps. Cela ne dure qu'un temps, car il est vite lassé par les prétentions de ses nouveaux « maîtres » à écrire de la musique dont personne ne se souvient maintenant, et pour cause. Il fait connaissance en 1915 de Cocteau qui le présente au « Groupe des six », qu'il paraine en quelque sorte, sans s'y intégrer, étant beaucoup trop indépendant pour faire partie de quelque groupe qui lui dicterait sa conduite en matière de création.

Il en profite pour égrener au piano les « Heures séculaires et instantanées » ; parler « Sports et divertissements » (en 1914), là encore pour piano, tout en donnant matière à inspiration aux dadaïstes

Et surtout en 1917, il écrit la musique de « Parade », « ballet réaliste » et oeuvre totale, sur un argument écrit par Cocteau, des décors et des costumes de cirque dessinés par Picasso, une chorégraphie de Léonide Massine, représenté par les Ballets russes de Diaghilev lui-même étant en monsieur Loyal.

Certains lui préfèrent « Relâche » « ballet instantanéiste », composé sur un texte de Francis Picabia, avec un intermède cinématographique de René Clair ( Entracte) illustré par une musique de Satie, et une chorégraphie de Jean Borlin, représentée par les Ballets suédois de Rolph de Maré. En 1923, il est l’inspirateur flatté de l’École d'Arcueil, groupe informel composé de Henri Cliquet-Pleyel, Roger Désormière, Maxime Jacob et Henri Sauguet.

Il en parle avec humour mais il est ravi .

Ce groupe ne survivra pas à la mort du « Maître d’Arcueil » le 1er juillet 1925 sur son lit d'hopital.

Quand il décède, ses amis trouve un bazar inommable dans le logement de Satie, deux pianos attachés ensemble, des faux-cols cachés un peu partout, dont certains dans des endroits incongrus que la morale réprouve avec force. On lui prête aussi une conversion secrète de dernière minute, au catholicisme. Mais il est permis d'en douter malgré tout, Satie affichant à la fin de sa vie un athéisme très affirmé.