Invasion 14
de Maxence Van der Meersch

critiqué par Radetsky, le 22 novembre 2011
( - 81 ans)


La note:  étoiles
La guerre des âmes sans armes
Jusqu'en 2008 Maxence van der Meersch était pour moi une manière de méconnu célèbre et ce que j'en connaissais remontait aux quelques pages à lui consacrées dans les manuels de l'école primaire. Un libraire d'Esquelbecq m'ouvrit les yeux...
Le Nord (France et Belgique), 1914 - 1918, en pays occupé.
Les Sennevilliers, les Fontcroix, Hennedyck, Thorel, Decraemer, les Belges, les Allemands, les Français, les paysans, industriels ou prolétaires, civils ou militaires. Un microcosme va vibrer au son de la guerre et du renversement qu'elle occasionne dans les structures sociales. Nous assisterons aux métamorphoses, tout comme aux révélations de personnalités, de caractères, au gré des situations imposées par cet inédit (la paix avait duré depuis plus de 40 ans) : l'invasion d'un pays par une armée étrangère, les contraintes imposées par l'occupant, la nécessaire adaptation ou bien la bien plus nécessaire résistance. La liberté disparue avec pour perspective minimum le travail forcé, ou la prison, la déportation, voire la mort. Les individus ou les groupes vont redéfinir leurs rapports : rivalités ou haines, fraternités ou ruptures, rien ni personne n'est épargné. Il n'est guère que dans les situations extrêmes que le véritable homme se dépouille enfin de ses masques, qu'il pense, parle et agit selon son coeur, selon sa vraie nature ; alors surgissent les héros insoupçonnés, les lâches occultés par les convenances, le meilleur et le pire exacerbés par la nécessité d'avoir à chaque instant à choisir. la guerre est l'un de ces révélateurs fatals aux masques. Van der Meersch, dont on peut ne pas partager le parti-pris idéaliste, si présent dans le déroulement de l'écriture et les rebondissements successifs du récit, navigue en terrain de connaissance : cette société civile contrainte de s'adapter à un évènement par essence inhumain donne la mesure de ce qu'on peut attendre d'un être humain ici, maintenant, mais aussi... demain. Ce livre est intemporel, il atteint à l'universel, ainsi qu'il est de règle pour une littérature qui se respecte, pour un auteur qui respecte ses lecteurs.
Il faut lire les deux belles et dernières pages, où Hennedyck l'incroyant et l'abbé Sennevilliers dressent un bilan des années passées - et on pense que vingt ans plus tard Aragon écrira "La rose et le réséda" ("celui qui croyait au ciel, celui qui n'y croyait pas...") - mettant en balance et le résultat pratique et le bénéfice moral de l'action nécessaire : fallait-il, valait-il la peine de... et pour quel avenir ? On nous attend bien sûr au tournant. Mais je n'en dirai pas plus...
Maxence van der Meersch est un grand bonhomme.