La tristesse des anges
de Jón Kalman Stefánsson

critiqué par Aliénor, le 20 novembre 2011
( - 56 ans)


La note:  étoiles
Sublime
Jens le postier arrive à cheval dans un village, complètement transi de froid, véritable statue de glace figée sur sa monture. Il trouve refuge chez Helga, où nous retrouvons le gamin et le vieux capitaine aveugle, personnages centraux du précédent roman de Stefansson, « Entre ciel et terre ». Après avoir repris des forces, Jens doit reprendre la route pour poursuivre son périple et livrer le courrier jusqu’au bout du monde. Helga demande alors au gamin de l’accompagner, car elle sait que le postier a une peur panique de la mer, et que son inévitable traversée risque d’être fatale à ce solitaire courageux et bourru.

Les deux hommes entreprennent alors un long voyage dans le froid, la neige et le vent. Une odyssée dans un monde désolé et hostile, où pourtant d’autres hommes vivent, ou plutôt survivent en attendant la fin d’un interminable hiver qui les contraint à l’hibernation. Ces rencontres improbables sont autant de moments forts et poignants, qui rendent le récit d’une humanité intense et bouleversante. De plus en plus intense aussi est la relation entre ces deux compagnons d’infortune si différents, qui s’épaulent et se sauvent mutuellement la vie. Tout sépare Jens le taiseux et le gamin poète et bavard, mais lorsque le second parvient à fendre l’armure du premier et à le faire parler un peu, le roman devient tout simplement sublime. Les mots sont alors le dernier rempart contre une nature qui veut tout geler, un rempart contre la mort.

« La tristesse des anges » est le deuxième volet d’une trilogie dont on attend déjà avec impatience le dernier tome. Car si « Entre ciel et terre » était déjà magnifique, j’ai trouvé que ce deuxième opus gagnait encore en intensité. Ce voyage est une lutte incessante contre une nature impitoyable qui met durement les hommes à l’épreuve, et les rend du même coup poignants et inoubliables. Le style de Stefansson, tout de poésie et de grâce, rend aérien et magique un livre qui aurait pourtant tout pour être déprimé. Il faut absolument lire cet auteur, si l’on veut découvrir une prose sublime et unique.

Je ne voudrais par terminer mon billet sans souligner une nouvelle fois le talent de traducteur d’Eric Boury, grâce à qui la magie et la poésie de ce récit sont intégralement rendues au lecteur.
Tempête de neige 9 étoiles

Je n'aurais jamais cru qu'on pouvait rester fasciné pendant 400 pages par deux hommes traversant les landes islandaises en pleine tempête de neige... Quatre cent pages de blanc et de froid qui m'ont tenu en haleine le soir jusqu'à ce que mes yeux se ferment. Quatre cent pages écrites dans une très belle langue, juste un peu déroutante parce que les dialogues ne sont pas marqués explicitement (pas de guillemets et de tirets). Quatre cent pages de réflexions et de poésie. Quatre cent pages de rapports humains très intenses au hasard des rencontres et des événements. Quatre cent pages d'affrontement avec la nature dans un pays pauvre et dur.
Et une chute brutale à la fin.

"La lutte pour la vie fait mauvais ménage avec la rêverie, la poésie et la morue salée sont irréconciliables et nul ne saurait se nourrir de ses rêves."

Romur - Viroflay - 51 ans - 20 avril 2013


Aventure et voyage initiatique 8 étoiles

Apporter à pied le courrier dans les hameaux reculés des dernières terres de Finlande perdues dans la neige et les glaces, c’est la fonction de Jens, le postier, accompagné dans cette mission où il faut traverser un fjord, par celui qui est toujours appelé « le gamin », un adolescent orphelin qui a l’expérience de la mer. Tout oppose les deux compagnons de l’expédition : âge, aptitudes, tempérament, goûts, comportement, mais si ces différences se révèlent source d’affrontements, elles sont aussi précieuses, les deux héros du roman devenant ainsi complémentaires pour faire face aux assauts constants du vent, de la neige, de la glace , de l’engourdissement .

Odyssée au milieu des éléments déchaînés jusqu’à « la limite du monde, là où toute chose prend fin », le roman est aussi celui d’une aventure intérieure, où chacun se révèle face à la lutte contre les dangers multiples.

En dépit de la monotonie du schéma narratif : progression épuisante et dangereuse dans la neige / arrivée dans une maison refuge/ départ au matin pour une étape encore plus difficile, le roman n’est pas ennuyeux. Les personnages rencontrés en chemin sont variés, pleins d’humanité et source de scènes émouvantes. Il est bâti sur un crescendo, où la mort est de plus en plus présente, d’abord comme un risque, puis alors qu’ils sont de plus en plus épuisés, sous forme de silhouette féminine hallucinatoire et récurrente cherchant à les séduire et les entraîner dans un sommeil apaisant.

Document sur la dure vie au sein des immensités désertes et glacées, le roman insiste aussi sur le destin particulièrement tragique des femmes, et surtout des enfants orphelins, considérés comme des animaux .

Ce récit dantesque transcende le roman d’aventures car il se situe régulièrement au croisement du rêve et de la réalité, dans une écriture où le fantastique le dispute au poétique . Si l’ouvrage est construit sur la lutte continuelle de des corps contre les éléments pour pouvoir survivre, il présente aussi une réflexion sur l’importance du savoir , sur les livres, sur la fonction de la poésie, par l’allusion à des poètes ou des vers qui viennent hanter l’esprit du « gamin » . Le titre LA TRISTESSE DES ANGES souligne cette dimension, la métaphore « les larmes des anges » désignant les flocons de neige chez les Indiens du Canada.

Roman profond, servi par une belle traduction, mais ardu, où le lecteur, à l’image des protagonistes de l’histoire, progresse lentement .

Alma - - - ans - 20 mars 2012


Pureté et poésie islandaise 7 étoiles

Comme j'aurai aimé apprécier ce livre autant qu'Aliénor ! Il m'a interpellé en premier lieu par son titre et sa couverture toute enneigée et épurée, puis par ses premières lignes si poétiques et sonnant si vraies :
"Maintenant, il ferait bon de dormir jusqu’à ce que les rêves deviennent un ciel, un ciel calme et sans vent où quelques plumes d'ange virevoltent doucement, où il n'y a rien que la félicité de celui qui vit dans l'ignorance de soi."
Et cela continue des pages durant, si bien que j'ai été totalement émerveillée par les 100 premières pages du livre, croyant disposer d'un chef d'oeuvre entre mes mains. Le style de Stefansson et de son traducteur est parfait et m'a vraiment subjugué, jusqu'à la fin, il est à la fois rude et poétique et s'accorde parfaitement avec les personnages et paysages islandais qu'il décrit.

Cependant, au bout de 100 pages, malgré toutes les qualités d'écriture, on commence un peu à s'ennuyer. Le rythme du récit est très lent ; il ne se passe pas grand chose dans ces campagnes islandaises désertiques. Telle est la vie de ceux qui survivent là-bas, mais est-ce suffisant pour en faire un roman ? Ce livre est apparemment le deuxième tome d'une trilogie, aussi aurait-il peut-être fallu lire d'abord le premier ? Cela m'aurait-il permis de m'attacher plus aux personnages, de rentrer dans l'histoire ?
Je pense lire Entre ciel et terre afin d'avoir des réponses à ces questions. Quoi qu'il en soit, je suivrai avec avidité les nouvelles parutions romanesques de Stefansson.

Elya - Savoie - 34 ans - 25 février 2012