Fabrice
de Pierre Benoit

critiqué par PPG, le 20 novembre 2011
(Strasbourg - 48 ans)


La note:  étoiles
Vie sous l'occupation, vie après l'occupation
Après trois ans et demi de captivité dans un camp d'où il a tenté à trois reprises de s'évader, Fabrice Hersent , 47 ans, revient dans sa propriété landaise au cours du mois de janvier 1944. Las des deux Guerres mondiales, pour lesquelles il estime avoir largement rempli son devoir de patriote, il aspire désormais à une vie calme dans sa demeure auprès de sa jeune femme, Aydée. Oui, mais voilà, celle-ci s'est volatilisée, semble t-il à Londres, avec un camarade de camp qui avait lui réussi son évasion, et qu'il avait prestement mandaté pour porter nouvelles à son épouse.
Cruel enchaînement pour Fabrice, qui doit néanmoins reprendre le cours de son existence. Celle-ci est rythmée par ses rencontres avec d'anciennes connaissances, telles Noémie, sa servante, Madame du Pradia, sa belle-mère, mais aussi Garbay, étrange individu refaisant surface on ne sait trop pour quelles raisons.
Naviguant entre tous ces personnages, pétri de regrets puis de colère envers sa femme, il agit de façon circonstancielle, en rendant parfois des services, sans calcul. Cependant, si dans sa tête la Guerre est finie, elle ne l'est pas pour les résistants qui luttent. Faisant fi de l'occupation allemande, naviguant entre la zone libre de celle occupée, il ne pressent pas le danger qui le guette à ne pas paraître aux yeux des autres comme étant quelqu'un ayant un positionnement exempt d’ambiguïtés.

Un livre agréable à lire. La tension réside dans le déroulement même de l'histoire des personnages : que va-t-il leur arriver au final ? Elle renvoie aussi à un questionnement identitaire : sommes nous seulement la somme de nos actes ? Ces derniers ne dépendent t-ils pas à la fois du contexte et des raisons pour lesquelles ils ont été réalisés ? Alors comment les juger, sans passion ?
Non éloge de la fuite 8 étoiles

Fabrice vient d’être libéré des prisons allemandes après des années et malgré plusieurs tentatives d’évasion. Ce soldat qui s’est illustré déjà lors de la première guerre mondiale doit sa liberté à un ami proche du gouvernement de Vichy. Il rentre chez lui, dans le bordelais, bien décidé à attendre tranquillement la fin de la guerre loin de tous soucis. Après tout, il a assez donné : deux guerres en une vie et puis sa femme, partie avec un autre pour rejoindre les forces de la résistance. Il ne veut plus être un héros. Il retrouve donc la quiétude de la propriété familiale, en compagnie de sa domestique hors d’âge. Mais c’est sans compter le voisinage qui l’implique malgré lui, qui dans un service pour la résistance, qui dans un repas avec les forces d’occupation… Ne voulant se mettre personne à dos, Fabrice accède bon gré mal gré à toutes les demandes et finit par devenir pour chaque groupe ce qu’il refusait d’être…

C’est un roman qui se lit vite, bien écrit, comme toujours pour Pierre Benoît. On s’étonne un peu de la naïveté du personnage, puis on comprend qu’après ce qu’il a vécu il a laissé tomber toute foi dans la nature humaine. Cependant d’autres tireront profit de cet abandon, sans se soucier de mettre cet homme en danger. Période complexe que cette fin de seconde guerre mondiale, à l’aube de l’épuration dont finalement on parle peu.

Antinea - anefera@laposte.net - 45 ans - 17 mars 2016


A lire pour comprendre une période et un romancier... 8 étoiles

On a coutume de dire que le roman « Fabrice » représente pour Pierre Benoît une sorte d’autobiographie de la période de la seconde guerre mondiale. C’est tout d’abord à la limite du lieu commun car de très nombreux romans ont été pour le romancier l’occasion de mêler sa vie personnelle, ses expériences et ses voyages aux fictions qu’il nous raconte avec tant de talent. Mais le second point qui mériterait d’être soulevé c’est que ce roman est l’occasion de montrer comment il a perçu cette période de la fin de guerre et de l’épuration, non comme il l’a vécu. En effet, le personnage n’est pas une copie conforme de Pierre Benoît, il n’est qu’inspiré par lui… Cette nuance peut paraître superflue et pourtant elle est capitale quant à l’issue finale…

Fabrice est un officier français qui fut prisonnier au début de la guerre par les Allemands. Comme beaucoup de patriotes, il n’a qu’une idée alors, s’échapper ! L’affaire n’est pas si simple à mener et il est repris à chaque fois, avec, bien sûr, des conditions de détention qui s’aggravent et rendent plus délicate la tentative suivante…

A quelques mois de la libération il est libéré, enfin, sur insistance du gouvernement de Vichy, du moins d’un de ses membres. C’est alors que Fabrice retrouve la France, une France qu’il a beaucoup de mal à comprendre avec ses collaborateurs, ses passifs, ses résistants, ses gaullistes… Il n’est pas préparé à vivre cette période et c’est celle que Pierre Benoît a choisi de prendre pour nous faire découvrir son personnage… C’est là le début du roman !

Fabrice est accompagné d’une servante dévouée, d’une belle-mère qui fricote quelque peu avec l’occupant militaire, sa femme, elle, a rejoint les forces de France Libre où elle tient un rôle courageux, tandis que quelques-uns de ses proches ou amis sont visiblement dans un des maquis, auprès du Maréchal ou dans un rôle ambigu proche de la trahison potentielle… Comment peut-il y voir clair quand on lui présente le Maréchal, quand on lui demande d’œuvrer pour la libération rapide d’un proche de la famille, quand il faut donner les premiers soins à un résistant gravement blessé dans un accrochage nocturne, quand il faut honorer l’invitation à manger d’un officier occupant…

Fabrice est l’ami fidèle, le gentil qui n’imagine jamais le pire, celui qui veut toujours améliorer le présent, qui ne veut jamais trahir… Oui, sous cet angle, Fabrice est bien Pierre Benoît !

Quand j’ai lu ce roman la première fois, j’ai pensé à Lacombe Lucien, ce film qui m’avait marqué dans ma jeunesse. En effet, quand on sort de la salle on a deux idées en tête : qu’aurais-je fait à cette époque, qu’est-ce qui me distingue de Lucien ? Quand on referme « Fabrice », on se pose quelques questions aussi : aurais-je tenté de m’échapper ainsi, combien de fois, aurais-je ensuite rejoint la résistance, aurais-je eu la lucidité de me tenir à l’écart des forces occupantes, y compris pour obtenir la libération d’un ami ? Ma comparaison s’arrêtait là, sans faire un lien entre les auteurs.

Aujourd’hui, quelques années plus tard, à la relecture du roman, je reste avec une stupeur majeure, celle qui est dans la dernière phrase du roman… Un condamné à mort qui se fait bander les yeux avant l’exécution et qui dit : « Autant, n’est-ce pas, ne pas voir que ce sont des Français ! ». Oui, on a tendance à l’oublier, cette période fut bien une guerre civile française. Alors, quand il nous arrive de vouloir donner des leçons au reste du monde secoué par des guerres intestines et civiles, il conviendrait de se souvenir… juste un instant !

Un très bon roman…

Shelton - Chalon-sur-Saône - 68 ans - 24 avril 2012