La recherche biomédicale en danger
de Philippe Even

critiqué par Elya, le 8 novembre 2011
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
Un ton argumenté, engagé, atypique en faveur d'une reconstruction de la recherche française
Philippe Even est médecin ; profession dont il revendique la formation clinique mais aussi scientifique, trop souvent laissée pour compte. Il préside le prestigieux Institut Necker et publie régulièrement des ouvrages de vulgarisation et sensibilisation à l’égard du grand public, décortiquant certains faits médiatiques qui marquent notre époque (tabagisme passif, monde hospitalier, médiator…). Ici, il s’adresse plutôt aux personnes qui se sentent concernées de près ou de loin par la recherche.

Vaste notion qui nécessite dans une première partie une mise au clair. Il retrace brièvement et de manière agréable l’histoire des sciences et met en exergue le dogmatisme de l’Eglise et de certains philosophes (Platon, Aristote…), qui, tout au long des siècles, ont entravé l’évolution des sciences. Seules les maths ont été épargnés, car, contrairement aux sciences du vivant, ils ne remettaient pas en cause l’existence de dieu.
Après cette entrevue historique, il différencie la science, ensemble de connaissances figées, apprises par cœur à l’université, de la recherche, évolutive et synonyme de liberté d’esprit.
Différents types de recherche existent :
- la recherche fondamentale : qui part de l’inconnu, ou qui remet en cause le connu, qui laisse une large place à l’intuition. Son financement est mis de côté en France par rapport à d’autres pays plus avancés sur le plan de la recherche, et c’est un des éléments récurrents de la thèse de Philippe Even. L’auteur illustre de manière très ludique sa place prépondérante dans l’évolution des sciences (Einstein, l’ADN…).
- La recherche appliquée
- La recherche développement : dans le but d’extension des marchés répondant à des besoins réels mais malheureusement de plus en plus souvent à des « gadgets et besoins artificiels fabriqués à coup de marketing, pour provoquer désir, pulsions d’achat et dépendance des acheteurs et tirer la croissance, sans s’interroger sur la nature, l’utilité et le caractère durable de cette croissance pour le bonheur des hommes de tous les continents et pour l’écologie de la planète ».
Dans cette première partie, le ton est donné : les citations abondent, les références bibliographiques aussi, le ton est très engagé et bien loin d’une objectivité sans faille, mais surtout, passionné et passionnant. On ressent aussi dès les premières pages que l'auteur vénère plutôt la politique de droite et certains de ses ministres, prône à tout prix la productivité et la compétitivité, et une certaine forme de nationalisme, différente de celui dans laquelle est actuellement ancrée la france.

La seconde partie dresse le triste constat du déclin de la recherche française. Les français sont très peu nobélisés depuis un siècle, il y a un faible nombre de citations dans les 5 ans après parution de chaque article. Les politiques et autorités françaises se félicitent des progrès de la recherche en France et de son positionnement mondial. Leurs arguments contre ceux qui s’y opposent sont qu’ils n’utilisent que les critères bibliométriques. Or selon Nature la bibliométrie est dans 75% de l’évaluation américaine et 100% de l’Angleterre.
Cette partie sera l’occasion d’aborder les thèmes de l’Evidence Based Medecine, mais aussi du lobbying pharmaceutique et de l’escroquerie des génériques qui tuent la recherche :
1 médicament : 5% recherche, 10% fabrication, 20% essais cliniques, 40% marketing, 15% frais généraux, 15% bénéfices versus 1 générique : 10% fabrication, 10% frais généraux, tout le reste a été fait ! 60% bénéfices car vendent à 20% de moins.

Ensuite, Philippe Even explicite les raisons de ce déclin. Financements publics mal ciblés et mal utilisés (plutôt qu'insuffisant), formation et sélection désastreuse, gouvernance aberrante par 200 organismes (beaucoup trop), pas de vraie évaluation des chercheurs donc pas de subventions plus importantes accordés aux plus inventeurs…
L’auteur reviendra sur son incrédulité vis-à-vis des conséquences sanitaires gravissimes du tabagisme passif.

Dans une dernière partie, après avoir brièvement rappelé les réformes en cours, Philippe Even conclut en proposant 12 solutions pour redresser la barre. Comme souvent dans ce genre d’ouvrage, où toute la première partie est passionnante, constructive, objective, celle-ci est plus décevante. Le soufflet retombe lorsqu’on lit qu’il faut changer radicalement la formation du collège au doctorat. « diversifier plutôt que formater, en encourageant l’observation, l’expérimentation, l’autodidactisme, le questionnement et la libre imagination, de façon à comprendre, plutôt qu’à apprendre, en visant enfin à éduquer, plutôt qu’à instruire ». Qui ne serait pas d’accord avec ces belles paroles ?! encore faut-il trouver les moyens, financiers mais surtout humains.
D’autres propositions sont heureusement mieux étayées. Il faut faire de l’évaluation la clé de toute politique scientifique : c’est en effet un propos fort du livre. Les évaluations actuelles sont trop syndicalisées. Elles sont aussi multicritères, c'est-à-dire qu’elles s’intéressent à la notoriété du chercheur, à son ouverture vers le grand public, à l’enseignement, aux conférences internationales… saintes activités certes mais qui ne sont pas de la recherche !
Il s’agira aussi de créer des universités réellement indépendantes et des présidents forts et responsables, de renforcer et structurer l’agence nationale de recherche, de soutenir prioritairement la recherche fondamentale, de transformer les EPST, d’internationaliser les recrutements…

Malgré cette dernière partie qu’on aurait toujours voulue plus concrète, plus étoffée, l’ensemble de l’ouvrage semble être incontournable pour tous ceux qui aimeraient avoir un point de vue vif, engagé, mais aussi fortement argumenté sur la recherche en général. Philippe Even écrit vraiment très bien, on sent que c’est un homme qui aime la littérature notamment par quelques références à des ouvrages classiques qu’il cite brièvement. Philippe Even, mi-scientifique, mi-artiste … deux mondes si différents ?