Destruction massive : Géopolitique de la faim
de Jean Ziegler

critiqué par CHALOT, le 30 octobre 2011
(Vaux le Pénil - 76 ans)


La note:  étoiles
un diagnostic d'une rigueur scientifique
« Destruction massive
Géopolitique de la faim »
de Jean Ziegler
Éditions du Seuil
octobre 2011
344 pages
20 €

Le libéralisme au banc des accusés

Le profit de quelques uns est roi ... tant pis pour les peuples et si par « malheur » un président en exercice résiste, il suffit de faire comme au Chili il y a 28 ans, un 11 septembre que certains oublient.
Un coup d’État militaire porte au pouvoir au Niger un obscur colonel le 18 février 2010 à la place du président en exercice Mamadou Tanja. Ce colonel rompt alors toute discussion avec les chinois pour l'exploitation de mines d'uranium et décide de confirmer sa loyauté à AREVA, cette société d’État française.
L'auteur de ce livre, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'alimentation de 2000 à 2008 nous dresse un tableau réaliste et très documenté de l'état du monde.
Toutes les cinq secondes un enfant meurt de faim et un autre se trouve dans une situation de malnutrition particulièrement préoccupante avec d'énormes séquelles psychologiques et physiques.
Si les conditions climatiques influent sur le sous développement de nombreuses régions du monde, le libéralisme économique a une part de responsabilité importante dans le « développement » de la misère et de la sous nutrition.
Les pays pauvres surendettés doivent abandonner les cultures vivrières pourtant indispensables pour fournir les grandes compagnies en fonction de leur intérêt propre.
« Là où sévit le FMI, les champs de manioc, de riz, de mil se rétrécissent. L'agriculture vivrière meurt. Le FMI exige l'extension des champs de culture coloniale, dont les produits-coton, arachide, café, cacao, etc.-pourront être exportés sur le marché mondial et rapporter des devises, à leur tour affectées au service de la dette »
La spoliation se généralise, c'est ainsi que des Vincent Bolloré récupèrent des terres, au Bénin, au Sénégal et au Cameroun, en chassent les paysans et utilisent le foncier pour leurs projets qui visent à leur permettre de s'enrichir encore plus.
Que font l'ONU et les organisations humanitaires?
Si au lendemain de la guerre mondiale, 44 états ont créé l'organisation pour l'alimentation et l'agriculture ( le FAO), s' ils fondent en 1963 le PAM ( le programme alimentaire mondial) chargé de l'aide d'urgence, ces états membres de l'ONU ont adopté en 1966 deux pactes malheureusement séparés.
Le premier pacte aux droits économiques, sociaux et culturels avec son article 11 qui garantit le droit à l'alimentation ne sera pas ratifié par les États Unis.
Les États Unis mettront tout leur poids pour contrecarrer l'action humanitaire notamment quand cette action a lieu dans des pays où ils interviennent.
C'est toujours le cas en Afghanistan ou indirectement sur la « bande de Gaza ».
Quant à ceux que l'auteur appelle les cavaliers de l'Apocalypse, l'OMC, le FMI et la Banque mondiale, disposant de pouvoirs réels et importants sur les économies des pays les plus fragiles, ils continuent à violer la Charte de l'ONU .
Dire que les chefs d’États et les spécialistes ont calculé que « pour conjurer les huit tragédies- au premier rang desquelles la faim-, il faudrait mobiliser pendant quinze ans un montant d'investissement annuel d'environ 80 milliards de dollars ».... une bagatelle ... il suffirait de prélever un impôt annuel de 2% sur le patrimoine des 1210 milliardaires qui vivent sur notre planète !

Le livre se termine par un chapitre consacré à l'espérance...
Comment faire reconnaître et respecter le droit et la sécurité des paysans et de leurs familles si ce n'est en combattant les trusts agroalimentaires et en faisant vivre une solidarité concrète avec les centaines de millions d'être humains victimes du libéralisme ?

Jean-François Chalot
Educatif devrait être lu dans les lycées 6 étoiles

Tous les livres de Ziegler, expert économique et social reconnu, sont à lire.
Celui-ci expose encore une fois les ressorts du système capitaliste fondé sur la domination de la propriété privée des moyens de production, et donc sur le "droit" des uns de profiter des autres.

Il explique pourquoi la classe possédante ne recule devant rien, car sa seule voie est la fuite en avant : réduire de plus en plus ce qu’ils appellent «dépenses» - et qui sont les droits qu’un Etat civilisé garantit à ses citoyens, qui paient des impôts pour cela... et d’autre part augmenter encore leurs «recettes», autrement dit l’argent pris aux classes laborieuses et aux pauvres, sans toucher bien entendu aux revenus des actionnaires, spéculateurs et autres milliardaires.

C’est la seule façon pour eux de maintenir la rentabilité du capital, le versement de leurs dividendes, et de continuer leur enrichissement obscène quand un tiers de la population mondiale meurt de faim, et un autre tiers vit dans la pauvreté voire la misère.

Les « indignés » brandissent des panneaux « nous sommes 99% », cela signifie que que le monde commence enfin à comprendre qu'une minorité infime de possédants exploite sans aucun scrupule la quasi totalité de l’humanité - cette notion est pertinente et exacte, et non pas « ringarde » ni passée de mode. Il s'agit du marxisme, et c'est là où Ziegler "cale" malheureusement dans ses livres. Il n'ose pas appeler un chat un chat et dévie vers le "catho de gauche", la charité, la solidarité avec "les plus pauvres" évidemment faite par les "un peu moins pauvres" et sans renverser ce système monstrueux...

Or le capitalisme est bien entré dans ce qu’on appelle la phase de pourrissement : dérégulation des marchés, privatisations accélérées des richesses sociales, corruption des gouvernants, guerres néo-coloniales et massacres, déchirements entre pays sur les monnaies, les bourses, les marchés à exploiter, et attaques frontales contre tous les droits conquis au fil de la civilisation.

Cette phase ultime - comme Ziegler le montre - comprend le nivellement par le bas et le démantèlement de tous les droits et systèmes sociaux, une logique qui va jusqu’à régresser au niveau des enfants semi-esclaves des pays où cela est pratiqué et autorisé, et donc « les plus performants » dans la « concurrence mondiale »... qui n'a rien d'une fatalité cependant si l'humanité reprend son sort en main.

Tout cela est la conséquence, si on réfléchit tranquillement, sur un système qui est fondé sur la propriété privée des grands moyens de production (usines, mines, commerce), et d’échange (banques, monnaies, télécom, autoroutes).
Si on socialise tout cela, le peuple sera le propriétaire des richesses qu’il crée, et le maître de ce qu’il en fait. Ca ne se fera ni facilement ni en un jour, mais c’est le futur de l’humanité.

Bravo quand même à Ziegler d'écrire des livres aussi documentés, riches d'information et rétablissant des vérités occultées systématiquement par les médias : pas besoin de "grand complot" pour cela, les médias sont possédées par des marchands d'armes (Matra-Hachette), d'avions (Dassault), et de béton (Bouygues) à 90%. Les autres dépendent des grandes firmes pour survivre (les budgets publicité...).

Bonne lecture, recommandée.

Ultralucide - - - ans - 21 novembre 2011