Grammaire des civilisations
de Fernand Braudel

critiqué par Falgo, le 18 décembre 2011
(Lentilly - 85 ans)


La note:  étoiles
Fondamental: "Le" livre d'Histoire
J'ai lu, sans doute très mal, ce livre il y a une vingtaine d'années et en ai retiré une opinion mitigée sur l'ambition et le résultat du travail. Erreur majeure. Il s'agit d'un ouvrage indispensable à la compréhension du monde.
En 1957, le Ministère français de l'Education Nationale lance une réforme des programmes d'histoire. Consulté, Fernand Braudel établit une proposition pour le moins originale: conserver l"nseignement de l'histoire traditionnelle (chronologie et évènements) pour le collège et les premières années de lycée; enseigner l'histoire des civilisations en terminale. Cette proposition a pour objectif d'armer les étudiants pour une meilleure compréhension du monde.
Les raisons de cette proposition sont diverses et profondes. Braudel est persuadé que l'Histoire est la discipline scientifique la mieux placée pour fédérer les apports des autres sciences sociales (géographie, démographie, économie, sociologie, anthropologie, psychologie) et donner les clefs d'une compréhension des évolutions du monde. Ainsi il prend l'histoire des civilisations comme axe majeur et fondement du travail. La notion de civilisation est en effet assez large pour mettre à contribution toutes les sciences sociales dans une perpective historique qui privilégie la très longue durée. Ainsi le passé est en capacité d'expliquer le présent.
Ce projet se heurte, bien entendu, aux chapelles scientifiques existantes et capote. Au cours de son élaboration, Braudel, cependant, accepte de rédiger le manuel de la classe de terminale. C'est ce texte qui porte le titre de "Grammaire des civilisations".
Je suis époustouflé par l'immense culture et l'ambitieux effort qui a permis à l'auteur de traiter avec pertinence de toutes les civilisations du monde, comprises au sens d'aires culturelles (combinaison d'une aire géographique et des comportements humains qui s'y développent). Ainsi se déroulent devant nos yeux ébahis, et dans toutes leurs composantes, la civilisation musulmane, le continent noir, l'Extrême Orient (dans toutes ses versions diversifiées), l'Europe occidentale, l'Amérique du Sud et l'Amérique du Nord, l'Europe de l'Est.
Une première partie, plus théorique, apporte les définitions sur lesquelles sont fondées les analyses des civilisations. On sort admiratif de la capacité à relier une masse d'informations considérable provenant de nombreuses disciplines pour fournir une explication des évolutions (le passé aide à comprendre le présent) et définir ce qui, dans une civilisation donnée, peut changer ou, au contraire, rester invariant.
Il s'agit d'un livre fondamental que tous nos hommes politiques auraient dû lire. S'ils l'avaient fait, ils ne profèreraient pas les bêtises dont ils se gargarisent à longueur d'année.
Toute personne qui s'intéresse à la compréhension du monde devrait se précipiter sur cet ouvrage.
Cependant, écrit il y a 50 ans, il manque d'une actualisation (particulièrement sur l'Europe de l'Est, partie la plus contestable, mais le dire aujourd'hui est facile). Qui, à l'heure actuelle, pourrait nous la fournir?
C'est un évènement que je souhaite ardemment.
P.S.: professeur d'histoire en terminale, j'aurais certainement refusé un tel projet.
Des continents et de leurs spécificités 9 étoiles

Dans ce projet de manuel mû en ouvrage grand public, cet historien illustre, membre de l'Académie française et professeur au Collège de France, explique les civilisations par grands continents, en les présentant avec l'aide des autres sciences sociales, l'économie, la sociologie et l'influence des religions. Sur le plan purement historique, il distingue l'histoire ancienne de l'histoire contemporaine, qui s'arrête en 1962, avec des post-scriptum par chapitre de 1966.
Ce livre est très riche en informations, très dense, parfois un peu fouillis, tout en restant en surface sur chaque grand thème, afin de garder son propos dans des dimensions acceptables.
Tout n'est pas connu du grand public dans ce qu'il est énonce, et risquerait de déborder quelque peu nos chers élèves de terminale d'aujourd'hui, ce programme ayant été destiné à leurs collègues d'antan. J'y ai redécouvert et appris maintes choses.
Ce livre est agréable car par sa présentation, le grand voyage de découvertes qu'il offre, à actualiser, vu la date de l'ouvrage. Il reste très utile.

Veneziano - Paris - 46 ans - 15 août 2016


Un livre intéressant mais qui a vieiili. 7 étoiles

A l'origine, Grammaire des civilisations devait constituer une partie du manuel d’histoire des écoliers des années 60. Finalement, ce projet échoua et F.Braudel verra son ouvrage publié à l'attention du grand public.

Ce qui frappe de prime abord est l'érudition de l'auteur ainsi que sa volonté de proposer une vision complète, un véritable panorama des "civilisations" qu'il étudie. L'évolution de chacune de ces "civilisations" s'explique par la géographie, son économie politique, sa propension au changement technologie, sa culture littéraire et artistique entre autres. La religion de chacune prend une place fondamentale dans la grille d'analyse de F.Braudel.

En cela qu'il fournit ce panorama quasi exhaustif des civilisations en l'état de l'art historique en 1961, ce livre est réellement intéressant.

En revanche, plusieurs points viennent pondérer ce jugement positif.
Au premier chef, le caractère périmé de son analyse: 50 ans après, cela se comprend, l'auteur n'avait pas anticipé la fin du monde socialiste en Europe de l'est, la montée de l'Islam politique, la libéralisation à outrance de la Chine,...CE n'est pas un reproche mais l'intérêt du livre pour un lecteur de 2011 s'en trouve amoindri.
La deuxième critique que l'on pourrait avancer est la définition des fameuses civilisations: trop large, trop caricaturale; définies afin de faciliter l'analyse et de la faire rentrer dans un format imposé. Par exemple cette définition de l'Islam qui ne correspond à rien: peut-on mettre sur le même plan, le monde turc, arabe et persan....

Bref, un livre très documenté et érudit mais daté et simplificateur à outrance, ce qui en diminue son intérêt.

Vince92 - Zürich - 47 ans - 22 décembre 2011