Je ne suis pas sortie de ma nuit
de Annie Ernaux

critiqué par Kinbote, le 1 juillet 2002
(Jumet - 65 ans)

La note: étoiles

Les derniers moments d'

Annie Ernaux raconte ici les derniers mois de sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Le livre est sorti en 1997 alors que les faits relatés datent de 83 à 86. Il reprend les notes prises par Annie Ernaux pendant cette période.
L'auteure souffre d'avoir placé sa mère et entreprend à chacune de ses visites de peigner la malade, de lui donner à manger (elle ne se résout pas à la changer), comme elle l’a fait avec ses enfants. Elle est devenue la mère de sa propre mère, et, à 45 ans, se sent devenir définitivement adulte. Des scènes de sa propre enfance lui reviennent en tête. La dégradation de sa mère lui pèse (« A chaque visite, il y a toujours un détail qui me bouleverse , focalise l'horreur ») mais elle préfère encore voir sa mère folle que morte. Quand la mort surviendra, Annie Ernaux écrira que « toutes les peines vécues n'ont été que des répétitions de celle-là ».

Derrière l’écran de la déchéance de la vieille dame, Annie Ernaux anticipe sa dégradation, voit de quelle matière mortelle , et au fond commune , sont faites mère et fille, parents et enfants, tout être vivant.
Compatir à la douleur d’un proche, c'est forcément la faire sienne, indivisible, se voir dans un miroir.
Forte du constat que la littérature ne peut rien, Annie Ernaux revient au matériau brut, à la prise de notes sans fards ni retouche possible parce qu'elle « croit maintenant que l’unicité, la cohérence auxquelles aboutit une œuvre – quelle que soit par ailleurs la volonté de prendre en compte les données les plus contradictoires – doivent être mises en danger toutes les fois que c'est possible ».
Après « Une femme » qui est la stylisation d'une vie ordinaire, celle de sa mère, elle décide la publication de ce journal. Après « Passion simple » (voir critique de Brunette) , elle fait publier la chronique de sa passion (voir critique de Darius). Un parcours, une oeuvre cohérents d'un des écrivains les plus intègres de la littérature française d'aujourd'hui.

Me voici tout gêné.

Je viens de finir ce livre. J'ai l'impression d'avoir fouillé dans les affaires de quelqu'un. Ces notes sont tellement ... des notes! Tout est écrit sur le fait, brut, sans style recherché. Ce n'est pas le but. C'est un genre de thérapie stérile, qui ne marche pas, et qu'elle ne pourra jamais publié, dit-elle. Sauf qu'on sait la suite: on a le livre entre les mains.

Un livre touchant. Triste. Très triste. Mais est-ce bon de le livrer à des lecteurs inconnus? Je suis mal à l'aise à cause de ce livre. Et ému.

Soldatdeplomb4 - Nancy - 34 ans - 6 janvier 2009