Sévère
de Régis Jauffret

critiqué par Ddh, le 7 août 2011
(Mouscron - 83 ans)


La note:  étoiles
Un ou deux coupables ?
Régis Jauffret s’est fait remarquer en 2005 avec un roman primé au Femina : Asile de fous. Son premier roman ? en 1985 chez Denoël avec Seule au milieu d’elle. Il est aussi auteur de nouvelles et de théâtre. Son roman le plus récent ? Sévère, comme jugement sévère que l’on pourrait perpétrer à l’égard de la narratrice coupable du meurtre de son amant qui, lui aussi, mérite une lourde peine. Jugement trop sévère ? Au lecteur de s’en faire une idée
La narratrice tue son amant d’une balle entre les deux yeux. Pourquoi ? Il lui avait promis un million de dollars et le mariage. Promesse non tenue serait le motif du meurtre ? La réalité est plus sombre, plus perverse. Elle fuit en Australie, mais revient à Paris pour se rendre à la police. Se rendre ? pas si simple, elle ne se sent pas vraiment coupable. Son vol vers l’Australie est l’occasion pour elle de se remémorer tous les faits de sa relation avec son amant. Qui est-il ? Un riche, super puissant qui peut tout se permettre, il a des appuis partout mais il est aussi entouré d’ennemis. Qui est-elle ? Une femme étonnante, mariée mais dont le mari connaît sa conduite scandaleuse : elle recherche la vie fastueuse, ne rechigne pas à des attitudes perverses au lit, elle est aussi pour son amant sa secrétaire sexuelle chargée de trouver la journée hommes ou femmes pour les amener le soir dans une partouse.
Quel monde fréquentent-ils ? La haute finance qui donne le pouvoir et permet de glisser vers tous les excès.
Ce roman paru avant l’affaire D.S.K. éclaire le lecteur sur ces rouages qui dépassent l’entendement de tout un chacun.
Régis Jauffret explique dans son préambule les licences que l’imagination de l’écrivain peut se permettre. Toutefois, il garde suffisamment de retenue pour ne jamais plonger dans la vulgarité.
La progression du roman se situe dans une vision de nouveaux horizons qui permet à la narratrice de vagabonder dans ses souvenirs autant douloureux que passionnés.
Sado meurtre 6 étoiles

C’est en toute innocence que j’ai ouvert ce livre mais au bout de quelques pages, j’ai vite eu l’impression que, malgré les précautions liminaires prises par l’auteur : « Personne n’est jamais mort dans un roman. Car personne n’existe dedans. Les personnages sont des poupées remplies de mots, d’espaces, de virgules, à la peau de syntaxe…. Ils sont imaginaires, ils n’ont jamais existé. Ne croyez pas que cette histoire est réelle, c’est moi qui l’ai inventée… », je connaissais cette histoire de meurtre d’un grand banquier commis lors d’une séance sadomasochiste. Cette affaire a largement défrayé la chronique en 2005 et une petite recherche sur la Toile m’a vite ouvert les yeux, Régis Jauffret a couvert, en 2009, pour le compte du Nouvel Observateur le procès de la meurtrière du banquier et a publié ce roman en 2010. La famille Stern l’a poursuivi en justice pour atteinte à sa vie privée mais a retiré sa plainte en 2012 après que la Cour de cassation a confirmé le droit de la famille à la vie privée.

Le roman écrit par Régis Jauffret correspond presque exactement aux articles qu’il a publiés dans le Nouvel Observateur en 2009 lors du procès : « Le 28 février 2005, lors d'un jeu SM, le financier Edouard Stern, vêtu d'une combinaison en latex et lié au niveau de l'abdomen à une chaise dans la chambre de son domicile genevois, est assassiné de quatre balles de revolver par sa maîtresse Cécile Brossard. Elle a utilisé une des armes possédées par M. Stern. Peu avant les faits, il lui avait donné un million de dollars. Somme qu'il avait peu après fait placer sous séquestre en invoquant un motif fallacieux ». Tout est dit dans ce paragraphe, pou presque, dans son roman l’auteur donne la parole à la meurtrière qui raconte, de son point de vue imaginé par le romancier, la vie dépravée qu’elle menait avec le richissime banquier, une vie de domination soumission à double sens. « Elle était mal née, père libertin qui la bat, oncle violeur, mère abjecte, pas de bonheur ». Il était « un milliardaire issu d'une famille polie depuis des générations par l'éducation, la culture, et la poudre d'or. Et jusqu'à sa mort cet homme n'a plus pu se passer d'elle, même s'ils n'ont jamais vécu ensemble. Une rencontre malheureuse ».

Dans cette version romancée, Régis Jauffret insiste, trop au goût de la famille, sur la dépravation sexuelle et le cynisme affairiste du banquier et laisse même penser que cette issue tragique était fatale, qu’il l’aurait même provoquée se sachant poursuivi par des barbouzes à la solde des Russes ou d’autres états ou encore de groupes financiers plus ou moins occultes qu’il aurait largement spoliés. Les aveux de la maîtresse n’ont pas tout à fait éclairci le mystère, des zones d’ombres restent encore bien opaques comme celle qui concerne la mort de l’enfant qu’il a eu avec un mannequin russe aujourd’hui compagne d’une ex grande championne de tennis.

Ce fait divers, pris par n’importe quel bout et sous n’importe quel angle, reste un sujet de thriller très médiatique on y trouve tous les ingrédients pour faire un best seller : un banquier dépravé et cynique, une maîtresse sans scrupule et totalement amorale, une ex épouse issue des milieux politiques et culturels, une seconde maîtresse devenue lesbienne et compagne d’une championne mondialement connue, et, peut-être, des barbouzes et des services secrets. Je regrette cependant que Jauffret écrive cette histoire dans un style très sec, strictement narratif, qu’il ne donne pas assez d’intensité à la passion dévastatrice qui dévorait les amants démoniaques à la recherche de plaisirs et sensations que même l’argent en pouvait plus leur procurer.

Débézed - Besançon - 77 ans - 15 novembre 2014