Nouvelles complètes
de Michel Déon

critiqué par Jlc, le 5 août 2011
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Qu’est devenue Elsa Framboise ?
Au moment où l’Irlande, la Grèce et le Portugal connaissent des difficultés considérables pour avoir trop cru au miroir aux alouettes de la mondialisation et du caporalisme bruxellois, il est doux et un peu nostalgique de retrouver le charme, « l’autrefois » de ces pays dans les nouvelles que Michel Déon vient de regrouper en un seul recueil. (1)

« Les nouvelles sont une image, une situation, une chute » écrit Déon dans l’avant-propos d’un livre où on retrouve avec un bonheur immense son talent fait d’élégance, de tendresse, de légèreté un peu grave, d’ironie et d’humour. On y retrouve le monde et le thème de ses romans, un monde où les hommes sont vulnérables, les femmes attachantes, les paysages des acteurs plus que des décors, les situations mystérieuses (« Oublie », « Le prix de l’amour »), cocasses (« Un homme de confiance », « Dona Maria »), dramatiques (« Sur une falaise »), teintées d’un humour qui n’est pas sans tendresse (« La baleine »), agréable marivaudage (« Un parfum de jasmin », « Ne dites plus un mot », « La résurrection »). Et toujours ce sens de l’observation qui est un regard, jamais un jugement, ce bonheur de vivre même lorsque « l’amour ne rend pas heureux ». La variété de ces nouvelles rapproche Michel Déon plus de Somerset Maugham -sauf que ce dernier ne sait pas parler d’amour- que de Raymond Carver – qui, lui, en parle pourtant très bien, mais dans un univers plus uniforme. Bien sûr nous sommes souvent dans un monde qui a disparu et ce n’est pas le fait d’avoir converti les francs en euros, dans « Ne dites plus un mot », qui y changera quelque chose. Nous sommes dans un monde où les garçons vouvoyaient les « jeunes filles », où la séduction était un art lent, où un pudique et léger « Après… » indiquait au lecteur que ses héros étaient devenus amants, où « au cœur de l’Angleterre », chère à Valéry Larbaud, on servait le dîner en « jaquette noire, pantalon rayé, col dur, gants de fil blanc », où le péché existait encore même si parfois « la grâce l’effaçait ». Un monde, qu’il n’y a pas lieu nécessairement de regretter, que Déon sait faire revivre en grand écrivain classique qu’il est. On sourira aussi à des notations facétieuses comme celle de donner à des gares de banlieue parisienne le nom des femmes de ses amis Chardonne et Morand.

J’ai particulièrement aimé « Une page arrachée » pour l’intelligence de la jeune femme et, hélas, la balourdise de l’homme, « Bligh Manor » où le talent pour décrire la situation est tel que la chute n’a plus trop d’importance, « La baleine » pour sa drôlerie et le rôle qu’y joue l’écrivain, deus ex machina de son histoire.

Cet excellent recueil ne reprend pas, et c’est bien dommage, deux nouvelles déjà publiées, « La longue nuit » magnifique texte sur la culpabilité et peut-être la honte et « Hélène de Sparte » réjouissante réécriture du destin d’Hélène de Troie. Rien non plus d’ « Elsa Framboise, nouvelles » que Michel Déon disait, il y a très très longtemps, avoir en préparation. A-t-il fait comme John dans « Un parfum de jasmin » qui eut le tort de vouloir relire quelques pages qui lui parurent dénuées de sens ? « Il savait maintenant que la vie est parfois plus lente, plus indécise. Avec grand courage il déchira (son) travail ».


(1) Ces nouvelles sont issues de trois recueils : « Un parfum de jasmin », « Le prix de l’amour » et « Une affiche bleue et blanche ».
(2) Si ces lignes vous ont donné envie de lire ces « Nouvelles complètes », vérifiez l’édition entre vos mains ; en effet mon premier exemplaire passait de la page 256 à la 321 et de la 368 à la 321 à nouveau, privant ainsi le lecteur de 3 nouvelles, « Le prix de l’amour », « Dona Maria » et « Un citron de Limone ».