NON au littérairement correct!
de Éric Dejaeger

critiqué par Kinbote, le 18 juillet 2011
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Irréflexions & listes potachères
À propos des aphorismes (de Jean-Philippe Querton), Éric Dejaeger écrit justement: « Tout comme il existe différents types de romans, on trouve aussi toute une série de types d’aphorismes. » Et, dans le même ordre d’idée, on peut dire qu’un auteur d’aphorismes a aussi ses thèmes de prédilection, et, en l’occurrence, puisque ceux-ci se classent dans la catégorie des « humoristiques calembouresques mordants » qu’aime l’auteur, ses têtes de turc.

Il s’agit des intouchables, de ceux sur lesquels on ne peut rien dire, ou qui font en sorte de présenter d’eux une image lisse, conforme. Et aujourd’hui comme hier, ce sont les mêmes : les Églises, la famille royale, les politiciens de tous bords... Cercle qu’Éric a élargi à d’autres domaines: l’anorexie, la Star ac’, l’enseignement, les poètes... Sans omettre de préciser par ailleurs qu’il « adore écrire au subjectif imparfait ».

« Même si un politicien se lave tous les jours, il se mouille rarement. »

« Renaissance : mettre l’homme, et non le poète, au centre du poème. »

« Il n’y a qu’un illettré pour accepter de devenir une bombe. »

« Aux Seychelles, l’écrivain connaît l’angoisse de la plage blanche. »

Pour écrire cela, on devine que Dejaeger ne lâche jamais de vue la langue, ne lui permet aucun écart ou plutôt qu’il s’autorise des écarts avec le langage tel qu’il se pratique communément (le « littérairement correct » du titre) par le jeu des calembours, des contrepèteries... mais pas seulement. En travaillant (avec, sur) ses obsessions, il met au jour les travers et faux-semblants du monde. Comme ici, sur le mode de « guerre et pets », et en les reliant au mot précédent, il met en relation deux adjectifs qui ne s’étaient jamais rencontrés sur ce terrain...

« Quelle est la différence entre une guerre intestine et une guerre coloniale ? »

Dans cet autre aphorisme, on n’est pas loin du même processus.

« Ne pissez plus n’importe où ! Faites-le contre l’église de chiantologie. »

Par les détours de ce mode de pensée, on navigue aussi bien en plaine poésie, comme ici:

« Maquillée beau teint de téléphone. »

« Je rêve d’écrire un opérap »

« Ivre libre ! »

... Qu’en des contrées volontiers rocailleuses non dénuées de piquant et d’inventivité crue:
« A la naissance, j’ai reçu deux bourses littéraires. Depuis, j’écris avec mes couilles. »

Quand la langue dérape sous l’effet d’un conducteur de mots, ça donne forcément des têtes-à-queues... saisissants.

Comme les auteurs d’apophtegmes, Scutenaire en tête, Éric Dejaeger n’est pas avare de ses « irréflexions », comme il les appelle. Ce recueil en compte près de 250. Sans compter les nombreux qui interviennent dans les « listes potachères » qui occupent les pages de gauche du présent recueil.

André Stas nous met en garde dans son avant-propos sur les risques redoutables auxquels s’exposent les lecteurs de ces listes, pour tout dire, désopilantes. Lisez la « liste d’animaux pour le moins vicieux » (éléphantasme, lamasoutra...), la « liste de livres introuvables » (« Vacances en glaise » de Giacometti, « De l’inconvénient d’être nez » de Cyrano de Bergerac...) ou encore (parmi d’autres) la « liste de personnages malheureusement absents des aventures d’un célèbre gaulois » (Samprépus, jeune romain d’origine juive ; Sarcosix, traître gaulois...).

En résumé, le livre idéal à lire l’été sur la plage (c’est le moment) ou en hiver sur le canapé (avec maman).

Les collages sont d’Emilie Alenda, la photo de Sofia Bourdon.

Lire d’autres irréflexions sur le blog de l’auteur : http://courttoujours.hautetfort.com/