Alphabets : Cent-soixante-seize-ouzains hétérogrammatiques
de Georges Perec

critiqué par Lucien, le 3 juin 2002
( - 69 ans)


La note:  étoiles
Poésie expérimentale
Georges Perec doit être titulaire d'un certain nombre de records du monde.
On lui doit notamment un époustouflant palindrome de plus de cinq mille lettres (voir OULIPO, La littérature potentielle, Idées n¡ 289, Gallimard, 1973). Pour rappel, un palindrome est un énoncé qui peut se lire dans les deux sens, comme «ROMA – AMOR». Alors, cinq mille lettres sur ce principe… On connaît aussi «La disparition», un roman où la lettre «e» a… disparu, ou «Les revenentes» (sic), un récit où la seule voyelle est le «e».
Autre exploit, sans doute moins connu, que ce recueil de "cent soixante-seize onzains hétérogrammatiques" intitulé tout simplement «Alphabets». Le principe : les 10 lettres les plus fréquentes du français sont, dans l'ordre, ESARTILUNO. Si j'ajoute à ces dix lettres une onzième (à l'exclusion des 10 de base, bien sûr), j'obtiens 11 lettres, forcément. Par exemple : ESARTILUNOB. Le but du jeu étant d'écrire un poème "carré" (11x11 lettres) dont CHAQUE VERS sera l'anagramme de "ESARTILUNOB"... En tout, 11 x 16 = 176 poèmes!!!
Exemple :
ABOLIUNTRES ARTNULOSEBI BELOTSURINA NITELOURSBA BILUNRATESO NORESAUTLIB ERANTSILBOU TELABUSNOIR OULEBRISANT TRUBLIONASE NSARTEBLOUI
Concession au lecteur : la "traduction" est à côté (le même texte, découpé en mots et ponctué). Exemple, pour celui-ci :
Aboli, un très art nul ose bibelot sûr, inanité (l'ours-babil : un raté...) sonore

Saut libérant s'il boute

l'abus noir ou le brisant

trublion à sens :













Art ébloui!
On jurerait du Mallarmé !
Petite remarque : une telle maîtrise du langage, selon moi, ne peut valoir que cinq étoiles. Mais il ne s’agit nullement d'une mesure du plaisir éprouvé par le lecteur, qui dépend, rappelons-le, de bien d'autres facteurs.
D'accord, d'accord, ... 7 étoiles

Je te suis entièrement Lucien et je suis du même avis que toi, il y a création et il y a contrainte et il y a langage et il y a jeux sur et avec les mots et il y a travail sur la langue, etc... oui, mais, n'est-ce point volontairement brider sa propre création artistique que d'écrire, par exemple, un livre entier sans la lettre 'e'. Ce que j'essaie d'exprimer est que l'HISTOIRE, la narration, le récit aurait sans doute été plus lisible, plus beau, plus facile, mieux décrit (bref, moins bridé) si le 'e' avait pu être utilisé. Bien sûr, cela n'enlève rien au talent de l'auteur, que du contraire, mais n'est-ce point plus un exercice difficile qu'une réelle narration avec tout ce qu'elle comporte de rêves et d'envolées ?

Pendragon - Liernu - 54 ans - 10 juin 2002


Structures 8 étoiles

Je n'ai pas lu ce livre, mais je connais bien LES ULCERATIONS de PEREC, et l'Oulipo, en général, ayant eu la chance de travailler quelque peu avec le Verviétois BLAVIER.Raymond QUENEAU dans "Bâtons, chiffres et lettres" aborde le problème de la littérature potentielle.(page 291 et suiv.) Comme mathématicien, il met l'accent sur les STRUCTURES sous-jacentes aux constructions littéraires, en général, et plus particulièrement in L'OULIPO. Les remarques fournies par Lucien me paraissent particulièrement pertinentes et ouvrent un débat très vaste, à savoir qu'est-ce que la littérature ? (Sartre), qu'est-ce que la poésie ? (faire). L'essentiel me semble de CREER du nouveau (je pense aux "x" variations sur un mini-thème réalisées par un BEETHOVEN, les "x" variations sur un même sujet réalisées par QUENAU. Merci à Lucien, à Patman, et aux autres, pour leur apport régulier qui alimente une réflexion saine et constructive.

Thomas Fors - Beloeil - 88 ans - 8 juin 2002


Littérature potentielle = littérature 10 étoiles

A chaud, Pendragon, cette petite réponse : oui, c'est de la littérature. Car la littérature n'est jamais qu'un usage particulier du langage. Un usage dans lequel domine la fonction poétique, celle qui a pour objet la matière même des mots. Il paraît évident qu'un peintre travaille la matière picturale, qu'un musicien travaille la matière sonore. De même, tout écrivain digne de ce nom travaille la matière des mots, le TISSU du TEXTE (ces mots sont synonymes). Certains réalisent ce travail plus ou moins inconsciemment - le cas limite, c'est l'écriture automatique -, d'autres plus ou moins consciemment : dans certains cas en entrant dans une contrainte imposée de l'extérieur (les sonnets d'Heredia, les tragédies de Racine, les ballades de Villon, les rondeaux de Charles d'Orléans, etc.), dans d'autres en créant eux-mêmes leur système de contraintes : l'OuLiPo - point culminant, Georges Perec.
Comment peut-on reprocher à un artiste des mots - un écrivain, un poète - d'opérer suivant un principe de COMPOSITION que l'on salue chez un artiste des sons - un musicien? La littérature dans son essence est poésie - du grec "poiein" = "faire", "créer". Or qui dit création dit technique, solfège, harmonie, perspective, donc CONTRAINTES...

Lucien - - 69 ans - 7 juin 2002


Où l'hippo ? 7 étoiles

Salut Lulu, je te sais fervent de ce genre de jeux intellectuels et je suis d'accord avec toi lorsque tu nous dis qu'il s'agit là d'une parfaite maîtrise de la langue... mais est-ce de la littérature ?
Six jeux taudis queue jeune panse pas, Candy tut ? Et scie part, aïe, mes trises errées, elles... esse bourreau tend un narli terraire, vous art m'aime une craie à sillons areuh triste tique ?

Pendragon - Liernu - 54 ans - 7 juin 2002