Tu écraseras le serpent
de Yachar Kemal

critiqué par Tistou, le 8 juin 2011
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Drame de la vengeance
Yachar Kemal est turc et sa démarche d’histoires racontées, de son pays, de sa culture et de ses mythes, renvoie un peu à ce qu’on peut imaginer de ce qu’étaient les Aèdes dans la Grèce ancienne. Non point que Yachar Kemal nous chante les épopées, mais il y a quelque chose …
Ici le fil conducteur est très clairement identifié et pèse d’ailleurs par moments par sa redondance sur le récit, le faisant paraître long, étiré. Halil, mari d’Esmé (beauté reconnue comme telle, avec toute l’exagération dont sont capables les peuples méditerranéens) et père d’Hassan, petit garçon de six ans, Halil donc est assassiné d’un coup de fusil à travers la fenêtre alors qu’il est attablé à manger, chez lui. C’est Abbas qui l’a tué. Abbas ensorcelé par la beauté d’Esmé et qui a voulu éliminer le mari. Abbas est rapidement retrouvé et tué. Mais cela ne suffit pas à la grand-mère d’Hassan, mère de Halil. Elle tient Esmé pour responsable et n’a de cesse que d’inciter ses fils, et à défaut Hassan, à tuer Esmé afin de libérer le fantôme de Halil qui ne sera en paix que sa mort vengée.
Le roman c’est le harcèlement, le conditionnement d’Hassan par sa grand-mère pour le convaincre de tuer sa mère, qu’il aime par ailleurs. Hassan, car les frères de Halil – et fils de la grand-mère – se défileront tous quant au fait d’aller eux-mêmes venger Halil. C’est qu’Esmé est trop belle et la tuer leur parait impossible. C’est là que le roman peut contenir certaines longueurs, dans ces longs et redondants passages de conditionnement d’Hassan par sa grand-mère. Une belle entreprise de destruction de personnalité en vérité.
Il y a aussi des passages magnifiques sur la nature et la vie rurale de l’est de la Turquie (Yachar Kemal vient de Cilicie), et une espèce de naïveté déconcertante dans ces histoires racontées par Yachar Kemal. Ca me fait penser à ces gravures modernes qui illustrent des activités industrielles, mais traitées humoristiquement à l’époque moyennâgeuse, avec profusion de personnages occupés à des tâches incongrues, gravures qui renvoient à un inconscient des temps anciens forcément heureux …

« Les aigles tournoyaient au-dessus des rochers de l’Anavarza, si proches les uns des autres que leurs ailes se touchaient. Les asphodèles aux fleurs blanches se tendaient vers le soleil. Au loin, le vent rabattit un nuage, son ombre vint frôler le marécage, puis repartit vers Doumlou. Sur les asphodèles, étincelaient des guêpes noires, bleues, pointillées, des abeilles rondes. Les fleurs d’un bleu très pur des chardons surgissaient des rochers. Hassan glissait sur les pierres comme une perdrix. L’abîme à ses pieds lui donnait le vertige. Il était descendu dans le ravin jusqu’aux nids d’aigles sans y découvrir un seul oisillon. Pas le moindre œuf. A son approche, les aigles se détachaient des parois lisses comme des murailles, ils voletaient entre les rochers en battant l’air de leurs ailes gigantesques. Sur les pierres brûlantes sous le soleil de printemps, s’étalaient des violettes, des euphorbes bleues, des safrans des prés orangés. Le thym était sur le point de fleurir, son parfum violent s’élevait sous le soleil. »

Une lecture comme en dehors du temps, avec un souffle d’épopée.