Les Atlantides
de Luc Dellisse

critiqué par Sahkti, le 6 juin 2011
(Genève - 49 ans)


La note:  étoiles
A part l'amour, on a quoi ?
Etrange récit que celui-ci, le début en tout cas, absolument succulent. Nous nous trouvons en présence d'une famille dont le mot d'ordre parental est de cultiver la laideur à tout prix. Cela marche pendant un certain temps puis voilà que la jeune soeur se révèle être un beauté à couper le souffle, au corps chargé de pulsions sexuelles qu'elle assouvit autant qu'elle peut. On imagine aisément le bouleversement que cela crée dans la famille qui ne résistera pas à l'implosion. Les années passent, les deux soeurs ont pris des voies différentes, tout comme leur frère, notre hôte.
Suite à une blessure au poignet, le narrateur se voit projeté dans son passé en entendant la voix d'une femme, celle qui une trentaine d'années auparavant lui a occasionné son plus grand chagrin d'amour. Intrigué d'avoir entendu ce timbre si particulier, oublié, il entreprend alors de retrouver sa trace. Première étape, Internet, mémoire perverse et orwellienne de nos vies qui ne laisse rien passer sauf qu'ici, c'est chou blanc. Enfin pas tout à fait car en surfant sur Google, l'homme découvre qu'une artiste-peintre, Eva, s'est inspirée d'un de ses romans pour réaliser quelques toiles plus qu'intrigantes.
Sa curiosité est piquée mais l'homme est prudent. Il sait qu'en y allant, il risque de succomber à l'un ou l'autre charme, et les femmes, ce n'est pas qu'il en a marre mais plus d'une dizaine d'histoires pas toutes heureuses en quelques années, ça laisse visiblement des traces qui donnent à réfléchir.
Quel meilleur moyen pour exorciser tout cela que de les coucher sur papier, de les narrer une à une, avec leurs défauts, leurs qualités et toutes les erreurs commises pendant ces parcours à deux. Catalogue amoureux et inventif qui ne flatte pas vraiment le narrateur même si il aime souvent reporter la responsabilité des échecs sur d'autres; il conserve un regard lucide sur lui-même et sa vie, regard caustique qui peut prêter de ci de là à sourire tant certaines émotions sonnent vrai.

Un livre drôle, serré, ironique par moments, tendre par d'autres.
En entamant cette exploration dans son passé, c'est aussi sa famille et le monde qui l'entoure que le narrateur revisite, plongeant au creux de ces Atlantides, terres à jamais perdues qui ont marqué son existence. Recevoir à tout prix l'amour de ces femmes, c'est aussi en donner et vouloir à tout prix en donner, n'est-ce pas faire preuve d'un cruel manque insatiable en la matière ? Pas de vérité vraie dans ce domaine mais les quelques réflexions bien senties dans la bouche du narrateur nous aident à nous faire une petite place au soleil dans cette quête éternelle et universelle, le tout baigné par la plume brillante de Luc Dellisse.