La longue promenade avec un cheval mort
de Francis Dannemark

critiqué par Lucien, le 21 mai 2002
( - 69 ans)


La note:  étoiles
Entre soupir et sourire.
«‚a ne se rencontre pas deux fois dans une vie, un type qui se promène avec un cheval de glace.» Un type qui s’appelle David et qui ramène au bercail, chez son oncle Norbert, un cheval mort dans un camion frigorifique. Un cheval mort qui s'appelle Hope, comme Bob Hope, comme le pianiste de jazz Elmo Hope. Comme l’espoir, tout simplement. David, entre deux métiers, entre deux vies, entre deux femmes. Entre deux tentatives de suicide. David l’architecte qui a construit sa maison puis l’a détruite parce que Julia ne voulait pas y vivre. La maison dont il trimballe les plans partout, comme il trimballe partout le nom de Julia, la photo de Julia. L'amour de Julia. Le sien pour elle. Celui de Julia pour lui. «Souvenirs, pièces détachées.» Et puis, la sortie de route. Le cheval dans le camion, le camion dans la boue jaune. Et David dans le pétrin. Comme Antoine. Sorti de route, lui aussi. Dans le même virage. Coïncidence? Non, les betteraves… Antoine le romancier. En tout cas l'écrivain. L'écrivain privé de Rosa, depuis qu'il a rencontré Rosa. Rosa la rose. Rose de Saadi? Aurore aux doigts de rose? Rosa, la paix. Pas la passion, mais la paix. Alors, ce cheval puisqu'il faut bien le ramener à Norbert, ils vont s'y mettre à trois. Trois dans la bétaillère avec le cheval Hope. Trois et l’espoir. De retrouver Julia?
La petite musique Dannemark tourne rond. Entre soupir et sourire, la peinture se fait pastel. Et le soupir, c'est aussi un silence, en musique : «Il y a des endroits où le silence se voit» ; «Le silence crépite». La petite musique des livres aide à vivre : «L'âme, c’est dans les bouquins, en concentré ; dans la vie, on en trouve des traces, pas plus.» ; «Celui qui survit à son enfance a de quoi écrire toute sa vie» ; «S'il n’écrit pas, Antoine meurt. Parce qu'il écrit dans sa tête et qu'alors il ne vit plus». Entre écriture et silence, entre soupir et sourire. Entre le dit et le non dit. Entre la présence et l'absence. Dans les jours de la dentelle, toute la poésie Dannemark : «Le vent frappe à la porte et personne ne répond, il est tard, le ciel est plein d’étoiles mortes.»
Hope, David, Antoine... 9 étoiles

Un résumé très court pourrait raconter ceci : David transporte à travers la France et la Belgique un cheval mort, congelé dans un camion-frigo, qu'il ramène à son oncle, le propriétaire de l'animal.
Etrange n'est-ce pas ? Cela a suffi pour me donner une envie immédiate de dévorer ce livre. Alors détaillons un peu plus...
David est un jeune homme tourmenté par la vie et surtout par sa rupture avec Julia. Une femme qu'il aime, pour laquelle il a construit une maison, maison qu'elle n'aime pas, il la détruira (la maison, puis Julia), elle partira, il ne s'en remet pas. L'oncle de David possède un cheval, Hope, une magnifique bête au teint noir qui vient de perdre la vie. l'oncle souhaite enterrer son cheval chez lui, il demande à David de lui ramener le cheval. Pour ce faire, on congèle la bête telle quelle dans un camion-frigo. Le cheval a l'air vivant, David lui parle, le caresse, se confie à lui. Toute l'histoire se passera sous les yeux de Hope, témoin muet des souffrances intérieures d'un homme.
En chemin, par un heureux concours de circonstances, David fait la connaissance d'Antoine, un écrivain jadis médiatique qui s'est retiré des mondanités suite à un pétage de plombs lors d'une émission à grande écoute. Antoine est marié à la délicieuse Rosa, infirmière des coeurs et des âmes qui décèlera au premier regard la tristesse et les nombreuses interrogations de David.
Le récit s'articule autour de ses personnages. Chacun se raconte, chacun écoute, chacun évolue.
Merveilleuses lignes de Francis Dannemark (un auteur que je vous recommande absolument) qui a su saisir la sensibilité humaine (et masculine) à travers ces portraits et arrive à décrire de la plus belle manière qui soit le silence, le regard, la pensée. Des mots significatifs, des idées qui prennent vie sous sa plume. Délicate insertion dans la tête de David, on s'installe confortablement dans les méandres de son âme et on part à la découverte de lui-même. Une analyse dont on ne ressort pas tout à fait indemne, David abritant en lui une parcelle de chacun de nous, cette tendance à ne pas accepter de regarder la vérité en face, de masquer ses défauts, d'avoir peur des solutions, de craindre les autres avant tout par peur de soi-même.

Sahkti - Genève - 50 ans - 11 juin 2004