L'envers des autres
de Kaouther Adimi

critiqué par Camarata, le 1 juin 2011
( - 73 ans)


La note:  étoiles
Le pire c’est qu’ils sont de moi
Une galerie d’autoportraits centrée sur une famille montrée du doigt par l’entourage, dans un quartier populaire d’Alger. Une famille qui se supporte tant bien que mal dans le même appartement. Il y a le beau et fragile Fadel, sa soeur préférée, la très belle et cynique, Yasmine, son autre soeur la déjà vieille Sarah obsédée par la peinture, son mari Hamza ancien psychologue devenu fou et impotent et leur fille Mouna ,la petite « papicha ». La mère, veuve, essaye de sauvegarder les apparences et ne comprend pas pourquoi ses enfants sont différents, inadaptés socialement.

« Le pire c’est qu’ils sont de moi . Tous les trois . Aucun n’a été adopté ou recueilli. Ce sont ma chair et mon sang. Ils sont de moi de la tête aux pieds. J’ai vérifié. Deux fois. Je leur ai dit que j’avais des problèmes de santé, qu’il fallait être prêt à toute éventualité et je les ai emmenés faire une prise de sang. »

Le social pourtant est sans avenir, plombé par le chômage, la débrouille, le poids des traditions affaiblies par l’addiction au mirage occidental.
Dans cette galerie d’autoportraits, Il y a également ceux des individus qui gravitent autour de cette famille, créant une vision supplémentaire et cacophonique .
Chacun à tour de rôle devient le narrateur d’un récit où les autres sont acteurs. Cela crée à chaque fois un univers différent qui n’a que peu de choses à voir avec celui de l’autre ou des autres.

Ainsi, entre le récit de Sarah et celui de son mari Hamza, la réalité est inversée, retournée, quelle est la vraie ? On ne sait plus, on réalise que d’une personne à l’autre ce n’est plus la même réalité bien qu’elle fût vécue en commun.

HAMZA
« Il dîne avec sa jeune et belle et femme et s’endort comme une masse.
Le lendemain, il veut lui parler mais elle ne le regarde pas . Elle est trop occupée à mélanger du bleu foncé avec avec du bleu foncé pour avoir encore du bleu foncé . Alors l’homme -qui l’aime, Sarah, c’est important de le rappeler –se lève d’un bond et la prend dans ses bras parce qu’il se dit qu’elle ne va pas bien ; Tu sais comment elle a réagi cette femme ? Elle a hurlé, elle s’est débattue . Elle l’a traité de fou ! L’homme l’a tout de même tenue contre lui. Malgré les insultes et les coups. Malgré le fait qu’il se brisait de la voir ainsi. Et s’il pleurait à ce moment, ce n’est pas tant de douleur que de la savoir si proche et déjà si loin de lui, savoir qu’elle avait mal dans l’agonie de son cœur. »

SARAH
Hamza,excuse-moi de te délaisser,de ne plus avoir envie de m'occuper de toi comme on s'occupe d'un enfant en bas âge; mais voir le rouge de la terre s'élever dans le ciel bleu et éclabousser le blanc des nuages est bien plus intéressant qu'essuyer ta salive qui coule sur ton menton ; Et assister à la fusion du vert des feuilles dans le marron des branches m'intéresse plus que tes gazouillis de gamin prépubère

Ce livre explore avec une acuité troublante et presque inquiétante, la différence radicale de ressenti d’une même réalité, d’une personne à l’autre.
Le style précis, incisif, sobre nous embarque naturellement dans tous ces univers différents, nous laissant entrevoir des avenirs sombres et instables, un petit livre dense et original (105 pages), d’une toute jeune écrivaine.
Derrière Alger laBlanche 10 étoiles

Vous dites Alger la blanche ? Yasmine n’en voit plus « la blancheur, la beauté ou la joie de vivre, mais uniquement les trous qui me font bondir de ma place, les pigeons qui lâchent leur fiente sur ma tête et les jeunes désœuvrés qui essaient de me tripoter au passage ». Yasmine si belle qui méprise les autres pour survivre, qui a peur et peu de foi en l’avenir : Le silence est trop pesant, il nous angoisse, nous donne l’impression qu’un drame est en train de se préparer. Les cris sont comme un protège-cahier : tant que quelqu’un crie, on est presque certain de ne pas avoir de problème »
« Elle l’aime plus que tout : il est son chat, sa vie, son trésor, son ange, son petit garçon, sa raison d’exister, son miracle, son bébé. Elle est sa puce, sa femme, sa chérie, sa poule. Ils finissent par rompre. Il a dit qu’elle était grosse. Elle a dit qu’il embrassait mal, il devient un salaud, un connard, un enfoiré, un tortionnaire. Elle est une garce, une conne, une pouffiasse, une gamine »

Adel pleure dans son lit en position fœtale sans trouver le sommeil « J’ai envie de vomir. Pas seulement de la nourriture ou de la bile, mais de vomir tout ce que contient mon corps. De me vomir » Quel désespoir dans la bouche d’un jeune homme. Il est ce qu’il ne devrait pas être dans ce pays.

Sarah la sœur aînée revenue dans le cocon familial avec son mari devenu fou.

La mère qui ne comprend plus rien qui est dépassée depuis que son mari a été fauché par une balle perdue.

Alors Mouna arrive avec ses ballerines de Papicha qui aime Kamel, le marchand de frites qu’elle veut épouser quand elle sera plus grande, car elle n’a que 9 ans et que c’est dur de vivre entre un papa devenu fou, une maman qui n’est guère plus claire avec ses pinceaux et sa peinture. Bien sûr, les filles de sa classe se moquent d’elle, mais elle s’en fout : elle aime Kamel et c’est sa raison d’être. Il n’est pas certain que ce ne soit pas la plus désespérée.

Et puis, il y a les autres Kamel, Adel… fumeurs de joints, buveurs de bières, emplis de désespoir, rêvant de fuite vers l’étranger pour une vie soi-disant meilleure.

Cela me fait un peu penser à la chanson de Brel : Ces gens là.
Ces dix portraits écrits à la première personne du singulier nous offrent une image de colère, de violence, de tristesse et de désespoir. Chacun raconte sa souffrance sans regarder ni anticiper la souffrance de l’autre. Ils sont dans une bulle sans oser la faire éclater de peur d’en crever.

Un petit livre par la taille, mais si profond par son contenu. Kaouther Adimi d’une écriture sèche et nerveuse brosse un portrait désespéré de la jeunesse algérienne sans espoir ni rêve. La fuite en avant dans l’alcool, la drogue, la folie….. n’est que la seule solution trouvée.

Ce premier roman est un petit bijou, un vrai coup de poing dans le cœur.

Zazy - - 75 ans - 10 juin 2012