L'automne des chimères
de Yasmina Khadra

critiqué par Carmen, le 26 mai 2011
( - 78 ans)


La note:  étoiles
Le Commissaire Llob tire sa révérence
Le commissaire Llob revient dans son village natal pour accompagner son ami d’enfance, un artiste peintre, aux funérailles de son frère égorgé par les intégristes. A son retour, son patron l’attend et l’informe de sa mise à la retraite d’office. Son dernier roman, Morituri, a mis en cause de puissants personnages de la mafia algérienne qui gravitent autour du gouvernement. Ils ne supportent plus de le trouver en travers de leur chemin, il est devenu l’écrivain, l’ennemi commun n°1.
Même si ses adversaires se font plus pressants dans leurs menaces de mort, Llob a encore quelques amis sur lesquels il peut compter. Le Directeur, auquel pourtant il s’est souvent opposé, a réussi à obtenir sa réhabilitation aussi bien dans ses droits de fonctionnaire que dans ceux d’écrivain. Mais Lob se sentant vieux, fatigué et usé, rejette cette proposition, il n’a plus la force de lutter.
Ce dernier volet de la série des aventures du commissaire Llob a des accents de désespoir. Yasmina Khadra nous donne une vision bien sombre de son pays ravagé par la guerre civile Tous ceux qui se dressent pour dénoncer les massacres, la corruption, les magouilles, qu’ils soient flics intègres, journalistes, artistes ou écrivains, ne constituent que des obstacles à éliminer pour la mafia.
Malgré la noirceur du sujet, l’humour du commissaire Llob et le lyrisme de Yasmina Khadra maintiennent l’intérêt et le plaisir du lecteur tout au long des pages.
Déréliction de l’Algérie années 90 8 étoiles

Cet « automne des chimères » clôt une série où apparait le commissaire Llob, commissaire à Alger, dans les années 90, quand l’Algérie se débat dans une situation cauchemardesque entre mafia d’état et intégristes (à moins que ce soit l’inverse !). Cet épisode est particulièrement noir, dans la mesure où le danger vient de partout, sans forcément de logique, et où les hommes tombent, les uns derrière les autres.
C’est un homme du sérail qui nous fait toucher du doigt cette réalité puisque Yasmina Khadra n’était autre, dans une « vie antérieure », que commandant dans la police algérienne ! Ses avis sont souvent pertinents, pour l’Algérie particulièrement, mais aussi pour tout ce qui touche au monde arabo-musulman ; du Liban au Pakistan en passant par la Palestine et l’Afghanistan. Un monde pour lequel, nous occidentaux, sommes particulièrement mal informés, ne prenant pas en compte la complexité de ces situations et raisonnant toujours sur un mode dichotomique.
Ca ne va pas fort pour Llob dans cet « automne des chimères » puisqu’il est convoqué par ses supérieurs pour avoir écrit un roman, considéré comme subversif car décrivant la réalité algérienne (et là Yasmina Khadra se met carrément en scène !). On le raye des cadres pour une mise en retraite anticipée. Ca ne va pas fort non plus puisqu’il vient d’enterrer un ami d’enfance retrouvé égorgé dans son jardin – un coup aveugle des islamistes ( ?) – mais ça, à l’époque c’est tristement banal …
Evidemment il ne va pas céder sur son intégrité pour autant. On va assister à diverses tentatives de ses amis ou de ceux qui se revendiquent comme tels pour le sauver – récupérer - … (au choix). Il y aura encore des morts. On voudra le réintégrer, …
Ca ressemble à la vie, quand elle se met à hoqueter et à partir un peu dans toutes les directions. Et puis c’est violent parce que l’Algérie c’était (c’est ?) ça … Et c’est clair, ça ne fait pas envie !

« A Alger, dès que vous quittez votre bureau ou votre gourbi, déjà vous êtes en terre hostile. N’essayez pas de sensibiliser le chauffeur de taxi, n’espérez pas attendrir le guichetier, n’insistez pas auprès du portier – c’est un miracle qu’il vous ait entrevu. Partout où vous trimballez votre déprime, vous avez le sentiment d’être un pestiféré. Aucune prévenance ne vous accueillera. Nulle part sourire vous réhabilitera. Par contre, vous avez droit au même mot péremptoire, expéditif – Ouais ! – au même froncement de sourcils qui vous déculotte d’emblée si bien qu’à l’usure, avant de hasarder dans un établissement, vous êtes amené à accrocher votre dignité aux vestiaires et à dérouler votre fierté à hauteur des paillassons puisque, là où vous échouez, il vous est recommandé de vous écraser. »

Tistou - - 68 ans - 15 novembre 2011