Entretiens avec Sartre
de John Gerassi

critiqué par Jules, le 23 mai 2011
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Un document essentiel sur Sartre dans son époque
John Gerassi est le fils d’un certain Fernando grand ami de Sartre et de de Beauvoir. Fernando était un très grand peintre (aux dires de Picasso lui-même) Lors de la guerre civile espagnole Fernando devient général du côté des républicains. Franco au pouvoir il part en France puis aux Etats-Unis en 1940. John Gerassi nait en France en 1931. Il deviendra journaliste au Time, Newsweek, New York Times etc. Son père décédé c’est lui qui deviendra l’ami de Sartre et de de Beauvoir. Ces entretiens ont été rédigés sur base de bandes magnétiques qu’il a prises et peuvent donc être vérifiés. Aujourd’hui Gerassi est professeur de sciences politiques à l’université Queen College de New York.


De suite on sent qu’un lien profond unit les deux hommes. Je crois que sans cela Sartre n’aurait jamais accepté certaines questions qui lui étaient posées. Un exemple : « Comment faisiez-vous, avec cette laideur, pour faire craquer toutes ces femmes ? » Un autre : « Vous avez toujours essayé de joindre le communisme et l’existentialisme. Vous n’y êtes pas arrivé !
C’est vrai, j’ai échoué ! »

Sartre jeune considère que la liberté se retrouve dans l’art et donc que seul celui-ci compte. Comme lui dans l’écriture, Fernando le suivait et disait « Je m’en fous que ma femme et mon fils crèvent de faim, je peins ! » Sartre approuvait et s’est un peu brouillé avec lui quand il s’est engagé dans la guerre d’Espagne. Aussi Gerassi ne se gêne pas pour lui demander comment, en pleine guerre d’Espagne il a pu faire un voyage de villégiature en Italie avec le Castor ! Il ne ratera pas non plus de lui faire remarquer qu’il a passé une « merveilleuse année » à Berlin en 1933 !... A quoi Sartre lui a répondu qu’il n’avait pas fait attention à tous les défilés militaires ni aux drapeaux présents partout ! Pour Sartre Fernando a trahit l’art en s’engageant au lieu de peindre. Point c’est tout !

Pour Sartre la poursuite du bonheur est réactionnaire. Le but de la révolution n’est pas de rendre tout le monde heureux mais bien de leur apporter la liberté tout en dépendant les uns des autres. Toujours selon lui on ne devient un vrai révolutionnaire qu’après la haine. Pour lui il est malheureux que la révolution s’arrête toujours quand il s’agit de tuer les vrais responsables. Bien sûr la liberté dans le sens de faire ce que l’on veut n’existe pas. La liberté résiderait dans la faculté d’accepter ce que l’on est !

Mais, ce qui est frappant dans cet ensemble de discussions c’est qu’il lui arrive de se contredire. Ainsi, quittant les grandes écoles, il se dit affolé à l’idée de devenir professeur. Or, il le devient et ne l’acceptera pas !

Un aspect important : Sartre a dit que les français n’avaient jamais été aussi libres que pendant l’occupation… Pourquoi ? Parce que, disait-il, ils n’avaient que deux choix, être résistants ou collabos. Et lui considère que celui qui n’était pas collabo était donc résistant ! Et que faisait-il de tous ceux, les plus nombreux, qui ne s’engageaient ni dans un sens ni un autre ?...Il les met dans le groupe des résistants et les fait même accepter d’être pris en otages, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent, rien que suite à une rafle sur une place par les Allemands, alors que tout simplement ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Ils deviennent résistants et doivent se comporter en fonction. Ils doivent se comporter comme tels car seuls les actes comptent dit-il.

Cette prise de position lui convient d’autant plus que plus loin il reviendra sur le sujet en disant que par le fait même d’avoir continué à écrire il avait été résistant !

Vous comprendrez qu’il ne m’est pas possible de résumer ici 483 pages de raisonnements.

Dans l’ensemble on y parle beaucoup de sa haine des Etats-Unis, de sa sympathie pour le régime de Castro, de son amour pour les femmes en général et de sa relation avec le Castor, de sa jeunesse, de l’écriture etc. Il dit ne pas avoir aimé le communisme ni l’URSS mais avoir choisi de soutenir ce pays uniquement pour s’opposer à l’Amérique qui, à ses yeux, était le plus grand danger de la planète. Il a une haine incroyable pour de Gaulle même s’il reconnaît que celui-ci a mis dans les faits des points auxquels il tenait. Il s’est aussi disputé avec beaucoup de monde à commencer par Camus. Aux questions posées là-dessus il a nettement tendance à glisser. Il reconnaît que l’Etranger est superbe comme il dit que « La condition humaine » est probablement le meilleur roman du siècle tout en haïssant Malraux qui suivait de Gaulle. Quant à Raymond Aron, son ami des grandes écoles, il le traite carrément d’imbécile. De Céline il dit qu’il aurait dû mourir plus vite, juste après « Le voyage » car le reste de son œuvre serait totalement nulle (là, il y a du vrai et du faux il convient de l’admettre)

Bref, ce livre se doit d’être lu par les amateurs de Sartre. J’ai toujours préféré Camus mais il est, avec Sartre, celui qui a fait l’opinion des années 40 et 50, plus loin pour Sartre.