Une affaire sensationnelle
de Jacques Bertin

critiqué par Débézed, le 16 mai 2011
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Dans la douceur angevine
A Chalonnes, sur les bords de la Loire, deux surnuméraires, des célibataires endurcis, ceux qu’on met toujours au bout de la table ou là où il faut boucher un trou, Edmond, un ancien militaire prestigieux, et Léonie, une vieille fille rangée au rang des grenouilles de bénitiers, finissent par s’aimer à force d’avoir été installés aux mêmes places et affectés aux mêmes fonctions dans toutes les activités locales. Et, pour donner un sens à leur amour ? Pour se construire quelque chose de commun ? Pour se prouver qu’ils existent encore ? Ou tout simplement pour se venger de ceux qui les ont trop souvent ignorés, ils décident de monter un coup incroyable, impensable, sensationnel.

Il croit qu’elle plaisante. « Elle est folle, se disait Edmond. Elle est folle, c’est certain. Elle est sensationnelle. » Mais, elle démonte tous les arguments contre ce projet, déjoue tous les pièges, résout toutes les énigmes, a une solution à tout et pour tout. Et nos deux célibataires se muent en Bonnie and Clyde des bords de Loire pour se lancer dans l’aventure qui les fera, ils n’en doutent pas, sortir de l’insignifiance dans laquelle ils étaient enfermés.

Un roman certes régionaliste, une belle ode à la douceur angevine qui règne à Chalonnes aussi, un hommage à tous ces humbles qui habitent cette région et qui ont appris de leurs ancêtres, survivants des Vendéens persécutés par la Révolution, la solidarité et la modération, mais aussi un livre qui pose des questions qui dépassent largement le cadre habituel du genre. Une belle histoire d’amour, une fine analyse des effets de la solitude, une réflexion sur la religion, la société, l’être…

Et, pour finir, dans une belle écriture, juste, fluide, délicate, l’auteur essaie de nous faire comprendre que malgré les différences, la vie peut encore être belle, même à un certain âge, et même si la morale doit, parfois, s’accommoder de mœurs parfaitement amorales. Il se sentait en échec, « Il portait sur son dos, son propre fils qu’il n’aurait jamais. Il portait l’échec. Sa propre vie. Tout ce qui rate, la mort, le rien. » Elle n’existait déjà plus, survivant tout juste, et en réunissant leurs deux solitudes, ils ont peut-être su trouver leur voie même si…

« Dieu peut comprendre qu’on romance un peu. »
......sensationnel! 10 étoiles

Une fois n’est pas coutume. Autant j’ai tendance à fuir de plus en plus souvent la quatrième de couverture d’un livre, autant j’ai trouvé celle ci excellente, au point de ressentir le besoin d’en livrer un passage :

« Dans quelle mesure l’auteur se moque-t-il du monde ? Pourquoi prend-il le risque mortel d’écrire, en 2008, une histoire édifiante, populiste, régionaliste, naïve à beaucoup d’égards ? C’est une intéressante question. Comme de savoir pourquoi Edmond Pavie, gaulliste cantonal, vient emmerder la littérature. »

Et il y en avait, des raisons, pour qu’en retour de cet emmerdement fait à la littérature, on s’emmerde à périr à la lecture de ce livre…
Le cadre ? Chalonnes. « A Chalonnes, il ne se passe jamais rien. »
Les personnages ? Edmond, clerc de notaire, 43 ans, célibataire, vie morne et réglée comme du papier à musique.
« Il s’ennuyait. Il était seul. En réalité, il n’était pas là et il ne se donnait jamais que d’une façon superficielle. Il était absent, oui. Mais personne, sauf lui, ne le savait. »
Et puis Léonie, la quarantaine, infirmière, célibataire aussi, triste et bien trop sage , et qui ne « souriait plus guère ».
« Elle était désespérée. Elle le cachait. Absolument. Dans ces régions, on a la dignité pour noblesse. (…) Oui, elle avait commencé à se dessécher. Elle s’en rendait compte. Elle le savait. »

Et pourtant, ce livre est un véritable petit bijou.
Parce que tout va se réveiller, l’amour, les sens, la libido, les projets, même les plus fous, comme celui de braquer la voiture des convoyeurs et empocher le magot de la Banque de France. La veille du mariage. Ca fait partie intégrante de la fête. Parce qu'ils ont décidé de vivre une histoire grandiose.
Chalonnes revit, il se passe enfin quelque chose, et dans l’écriture même du livre il se passe quelque chose, des points d’exclamation qui expriment l’enthousiasme se font de plus en plus nombreux (« Il croyait que deux amours qui s’unissent peuvent foutre le feu au réel, le transmuer, en faire de l’or ! »), les dialogues deviennent facétieux, des projections dans le futur remplacent les incursions dans le passé.
Et puis il y a cette très belle écriture, avec des changements de rythme dans la phrase, des métaphores, des jeux avec les temps des verbes, des ellipses, des points de suspension, qui rendent ce texte extrêmement vivant, plein de charme, de fantaisie et d’émotion.

Car ce qu’il adviendra de Léonie, d'Edmond ainsi que du fameux magot est véritablement....sensationnel!

Sissi - Besançon - 54 ans - 3 décembre 2011