Corpus delicti : Un procès
de Juli Zeh

critiqué par Isad, le 15 mai 2011
( - - ans)


La note:  étoiles
Précurseur ?
Écriture sèche et naïve d’une innocente prise dans un engrenage de puissants contre lesquels elle tente de se battre. Elle obtient quelques victoires éphémères médiatiques de soutien, accordées par la Méthode. Mais leur versatilité aura raison de son acharnement. On pense souvent à Kafka, aux hommes au pouvoir dont le seul objectif est de perdurer, ... et des foules aseptisées qui suivent béatement. Reflet horrible mais lucide de notre temps ?

Nous sommes dans une société hygiéniste qui suit la Méthode : tout citoyen a le devoir de rester en bonne santé et son bilan doit être communiqué périodiquement aux autorités. Mia, biologiste conformiste, a donné à son frère Moritz qui était accusé à tort de viol et de meurtre, de quoi se suicider en prison. Elle déprime et est convoquée pour semonce pour infraction à la méthode. On lui donne un avocat qui veut briller et étudie le dossier de Moritz qui a eu une leucémie enfant et a reçu une transfusion de moelle osseuse de la part d’un donneur, ce qui implique qu’ils ont le même ADN. Mia a donc réussi à prouver que la Méthode n’est pas infaillible. Mais le journaliste Kramer et les autorités vont s’acharner sur elle jusqu’à la torture pour lui faire avouer qu’elle appartient à un groupe de dissidents du « droit à la maladie » créé par son frère. Elle est condamnée à la cryogénisation mais, au dernier moment, sa peine est commuée en rééducation, à la satisfaction de Kramer et au désespoir de Mia qui voit alors s’effondrer totalement tout espoir pour sa vie future.

C’est superbe et en voilà une bonne synthèse : « Qu’on l’appelle christianisme, démocratie ou Méthode, chaque fois, c’est pareil. La vérité définitive, le bien absolu, le besoin impérieux de faire le bonheur de l’humanité tout entière. C’est toujours une religion » (p. 167)

IF-0111-3787
un monde parfait 6 étoiles

Un monde pas très éloigné du nôtre (dans le temps), sous le règne de "La Méthode", une institution censée assurer le bonheur des citoyens du monde sur des bases scientifiques. Tous les microbes ont été exterminés, chacun étant astreint à un contrôle permanent de son état de santé physique et mentale, grâce à une puce électronique insérée chirurgicalement dès la naissance. Hélas, quelques irréductibles résistent, comme Moritz Holl, qui va se trouver accusé de viol et de meurtre sur la base d’un test ADN, alors qu’il clame son innocence. Dans ce monde si parfait, ne pas reconnaître une vérité scientifiquement prouvée est un crime d’état. Son suicide en captivité va déclencher chez sa sœur Mia une révolte contre ce système injuste qui broie les consciences au nom du bien commun. Elle qui approuvait la "Méthode" mais avait pour seule exigence qu’on la laisse tranquille dès qu’elle pénétrait dans son appartement (ce qui était tout juste, mais vraiment tout juste toléré), va se trouver au centre d’un procès où on l’accuse de complot contre l’état. Dans la lignée du "Meilleur des mondes" (Aldous Huxley, 1931) et de "1984" (George Orwell, 1949), "Corpus delicti" décrit les dérives concentrationnaires d’un système totalitaire destiné à assurer par la force et sur des bases scientifiques le bien de l’humanité. Le propos n’est donc pas neuf, mais il a été revisité sur la base de l’évolution des sciences et des systèmes juridiques actuels. Hélas, la force de ce roman, destiné à nous faire réfléchir à partir des aventures de quelques personnages représentant des modes de pensée qui s’affrontent, se perd dans des considérations abondamment délayées sur la liberté, la croyance, la science, la Loi, et bien d’autres encore. Tout comme le roman policier, la science-fiction, lorsqu’elle est de qualité, est destinée à entraîner le lecteur au-delà de l’histoire qui nous est contée, en le laissant totalement libre d’en tirer les conséquences par rapport au monde très réel dans lequel il vit. Ici, rien de tel, puisque tout est prédigéré. Comme dans le monde aseptisé que décrit Juli Zeh, le lecteur n’est libre d’en penser ni bien ni mal. Je me suis donc ennuyé, et c’est bien dommage, car l’histoire était bien ficelée et les personnages attachants…

Jfp - La Selle en Hermoy (Loiret) - 76 ans - 26 janvier 2014