Pour une révolution fiscale : Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle
de Camille Landais, Thomas Piketty, Emmanuel Saez

critiqué par Jlc, le 15 mai 2011
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Les héritiers d'Alphonse Allais
Alphonse Allais qui avait le sens de l’humour et le goût de l’absurde a écrit : « Il faut demander plus à l’impôt et moins au contribuable ». C’est, toute plaisanterie mise à part, ce que les auteurs de ce petit livre essaient de faire en proposant une révolution fiscale dont 97% des Français pourraient être bénéficiaires.

Ils constatent que le système fiscal français est complexe, illisible, parfois inefficace, insuffisamment progressif et donc injuste. Ce constat est largement partagé par bien des commentateurs et récemment un organisme dépendant de la Cour des Comptes a fait une analyse voisine sauf sur le point de la progressivité. Le truisme « A revenu égal, impôt égal » est une vaste fumisterie puisque l’inégalité entre les revenus du travail et ceux du capital agrémentée par les niches fiscales, les décotes, prélèvements libératoires et autres astuces ont altéré l’intention initiale. Landais, Piketti et Saez montrent que le taux effectif d’imposition (qui est le % moyen d’imposition de tous vos revenus et qui se distingue du taux marginal lequel est le taux de la tranche la plus élevée de vos revenus) varie de 45 à 50% chez les Français qui ont les revenus les plus faibles alors qu’il n’est que de 30 à 35% chez les gens les plus aisés.

Ce n’est pas le lieu ici de rentrer dans le détail technique et j’en suis bien incapable. Je vous renvoie à la lecture de ce petit livre très bien fait qui se lit facilement ainsi qu’au site www.revolution-fiscale.fr mis en place par les auteurs pour que chacun puisse se faire un avis. En revanche on insistera ici sur un autre point: La France est un des pays où le poids des impôts est le plus lourd mais c’est la contrepartie de son modèle social auquel nous sommes très attachés. Encore faut-il que ce système soit juste et le poids perçu par chacun comme équitablement réparti, ce qui serait de moins en moins le cas. En effet « cette régressivité menace la cohésion sociale et rend très difficile l’acceptation d’efforts partagés et de projets communs ».

Mais que proposent donc ces économistes ? Très globalement de fondre en un seul impôt CSG et impôt sur le revenu (IRPP) en gardant du second le principe de progressivité et de la première ce qu’on appelle l’assiette c’est à dire les revenus concernés et ils sont plus importants pour le calcul de la CSG que pour l’IRPP. Le quotient familial serait remplacé par un crédit d’impôt (ce qui aurait pour effet de diminuer la « régressivité ») et la déclaration de revenu serait individuelle et non plus par foyer, couple ou ménage comme vous voudrez car « l’administration fiscale n’a pas à se soucier de qui vit avec qui et comment. Ensuite parce que le système actuel aboutit à traiter les femmes comme un revenu d’appoint ». Ils évoquent même la nécessité de créer un « revenu jeune », mais l’opinion publique, en ces temps de polémique sur l’assistanat, est-elle mûre pour ça ?

Et là nous sommes au cœur du sujet : Les Français sont ils prêts à faire la révolution fiscale, ont-ils suffisamment confiance en la classe politique qui en ce domaine fait preuve tout à la fois d’une grande prudence, d’une imagination fertile et d’une écoute attentive et parfois opérationnelle des lobbies? Ainsi on a bien compris que si 97% des contribuables sont gagnants, on a aussi compris que les 3% perdants vont payer plus, voire beaucoup plus. Et on sait aussi qu’ils disposent de moyens, notamment le lobbying, pour faire capoter la réforme. Il y aurait donc tout un argumentaire à bâtir et à vendre. Ce livre pose bien d’autres questions et c’est un peu sa faiblesse d’être si court. L’impact de l’Union Européenne n’est qu’à peine abordé et quand on sait la volonté de la Commission de se mêler de tout et de rien !!! Autre exemple : quid des paradis fiscaux dont un chef d’Etat nous avait dit nous en avoir débarrassé sans qu’il puisse le démontrer. Enfin l’individualisation de déclaration de revenus aurait demandé de plus amples explications car ce point me paraît un des plus difficiles à vendre à l’opinion et à mettre en oeuvre.

Au moment où la campagne pour les élections présidentielles françaises risque de prendre un tour nouveau, ce livre doit faire partie du débat. Si je n’en partage pas tous les aspects, son honnêteté, sa clarté et sa volonté de rendre à l’impôt sa fonction citoyenne conduisent à vous le recommander.
La fin des niches pour une égalité et une efficacité fiscales 7 étoiles

Les niches, taux de progression et déductions fiscales, notamment de l'impôt sur le revenu, mais aussi de la contribution sociale généralisées (CSG), ne permettent plus de justice fiscale, au point d'en devenir contre-productives, d'où le projet de refonte de ces deux contributions, par la fusion, au sein de laquelle serait intégré l'impôt sur la fortune (ISF). A cela, la principale mesure qui y est ici ajoutée réside dans une allocation d'autonomie pour les jeunes.

Après, il reste à convaincre les politiques de mettre en oeuvre une mise à plat du système fiscal. Ils en ont bien conscience, les idées de TVA sociale et de bouclier fiscal en ayant participé, mais les corporatismes et clientélismes freinent une réforme globale, dont l'utilité est bien présente dans les esprits. Contrairement à ce que pensent les auteurs, je ne pense pas qu'elles proviennent forcément de la gauche, souvent atavique, comme ils l'avouent eux-mêmes, en la matière : la réforme de la taxe professionnelle a été votée sur la précédente législature, et l'inaction sur le financement de la protection sociale sous la XIème législature a pu "surprendre".

Ce livre contient donc des idées intéressantes, présentées de manière claire, bien qu'un peu à l'emporte-pièce, tout en restant en surface, ce qui est dommage pour un essai pamphlétaire présentant une proposition de réforme d'une telle ampleur. Heureusement, il n'est présenté que comme un début, et il est complété par un site Internet, probablement non neutre. Ce livre ne suffit donc pas ; c'est dommage. Il a au moins le mérite de tirer une sonnette d'alarme.

Veneziano - Paris - 46 ans - 15 août 2011