Deux générations (ou Deux Hussards)
de Léon Tolstoï

critiqué par Dirlandaise, le 12 mai 2011
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Le père et le fils
Publié en 1856, ce récit est un des premiers de Tolstoï. Il met en scène un noble officier de l’armée russe séjournant dans une petite ville où se tiennent les élections des représentants de la noblesse. Le comte Tourbine s’adonne au jeu, à la boisson et aux femmes. Son séjour se passe en beuveries et parties de cartes qui durent jusqu’au petit matin. De grosses sommes sont perdues plongeant les malchanceux dans le désespoir et la tentation du suicide. Le comte vient en aide à un ami et quitte la ville laissant derrière lui une jolie femme endormie.

Vingt ans plus tard, son fils séjourne dans la même ville et est hébergé par cette femme qui se souvient encore du père avec tendresse et nostalgie. Mais le fils possède un caractère fort différent de son père et Anna Fedorovna peut constater par elle-même la différence entre les deux générations.

L’histoire est un peu mièvre et sentimentale surtout dans la deuxième partie mais le style de Tolstoï fait toute la différence. Les thèmes de l’alcoolisme et de la débauche des nobles dans l’armée sont traités avec justesse et perspicacité. J’ai préféré la première partie à la deuxième. Les scènes de jeux et de fêtes sont tellement vivantes qu’on croirait presque les avoir vécues soi-même. Les personnages sont bien caractérisés et certains sont assez pathétiques. La deuxième partie contraste avec la première, on se croirait presque dans « Une vie » de Maupassant quand on lit les passages où Liza rêve au prince charmant appuyée sur le rebord de la fenêtre de sa chambre et contemplant le clair de lune. Tolstoï termine son récit avec un brin d’humour et de dérision savoureux. Quel formidable raconteur ! Je n’ai pas trouvé de passages éblouissants mais il faut dire que ce sont des œuvres de jeunesse. Elles sont, sans contredit, un avant-goût des chefs-d’œuvre à venir.

« Les jeunes Tziganes, Tourbine les baisa toutes sur la bouche ; les vieilles et les hommes lui baisèrent l’épaule et la main ; les nobles se montrèrent très satisfaits de le voir, d’autant plus que la fête, ayant atteint son apogée, commençait à décliner. Une sorte de lassitude avait succédé à l’entrain. Le vin avait perdu son action excitante sur les nerfs et ne faisait plus qu’alourdir les estomacs. Tous avaient déjà jeté leur feu, et l’ennui venait à grands pas. Toutes les chansons étaient chantées ; elles s’entremêlaient dans les cerveaux et n’y laissaient qu’une impression de bruit. Quoi qu’on fît, on ne trouvait plus rien d’amusant. »

« Deux chandelles étaient posées sur la table préparée pour le souper. Leur lumière tremblotait parfois sous les chaudes brises de cette nuit de mai. De la fenêtre on apercevait le jardin éclairé d’une lueur toute différente de celle qui venait de la maison. La pleine lune avait perdu ses teintes dorées ; elle ponctuait la cime des hauts tilleuls et projetait la clarté pâle sur les petits nuages blancs et ténus qui par instant la voilaient tout entière. Dans l’étang dont on apercevait la surface argentée à travers les allées, les grenouilles coassaient ; quelques oiseaux, voltigeant de branche en branche, balançaient doucement les fleurs humides et odorantes d’un lilas planté juste sous la fenêtre. — Quelle belle soirée ! dit le comte en s’approchant de Liza. »