Je ne suis pas là
de Slavenka Drakulić

critiqué par Débézed, le 9 mai 2011
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Il n'y a pas de mots pour le dire
Barbarie. Horreur. Sévices. Sadisme. Cynisme. Mais, « Les mots sont soudain superflus, puisqu’ils sont devenus impuissants à refléter la réalité. » C’est bien au-delà de ces notions que nous transporte Slavenka à travers l’histoire de cette jeune institutrice bosniaque déportée dans un camp d’internement quand la guerre déchirait les Balkans en 1992.

Cette jeune femme, remplaçante dans un petit village de Bosnie, est raflée avec toute la population du village : les hommes sont exécutés, les femmes et les enfants sont embarqués et transférés dans un camp où ils sont traités comme du bétail. La faim, la saleté, la promiscuité, aucun des sévices de la déportation ne leur est épargné, l’humiliation est permanente, la dépersonnalisation est en route, la purification ethnique commence. Les hommes ont encore moins de chance, dans un camp voisin, les femmes l’apprennent par des canaux détournés, ils sont éliminés froidement.

Et après l’humiliation et la violence vient l’insulte suprême : l’internement dans « la chambre des femmes », là sont recluses celles qui servent de cheptel sexuel pour satisfaire les vices et défouler la cruauté des soldats qui n’arrivent plus à contenir ce qu’ils doivent assumer. Elles doivent supporter les sévices les plus cruels, les plus humiliants, les plus dégradants, elles ne sont plus des êtres humains, même plus des animaux, seulement des objets sexuels qu’on peut même jeter après usage. Alors devant un tel déchaînement, elle se prostitue pour séduire le capitaine, pour éviter le pire, pour se donner l’impression qu’elle a encore une once de dignité.

Et quand vient l’échange, la libération, il faut quitter le camp d‘internement pour le camp de transfert, le camp d’intégration, le camp encore, la promiscuité toujours, la saleté souvent, la carence régulièrement au menu. Mais, le plus dur est encore à venir car on ne peut pas dire ce qu’on a vécu, on ne peut pas demander ce que sont devenus les autres, on sait que les réponses seront mauvaises. On reste seul avec sa honte, stigmatisée a jamais sur les cuisses, sur les seins, dans le cœur, au fond de l’âme, on ne veut plus être ça, on ne veut plus être du tout ou seulement être autre, une autre.

Et, le fond est atteint quand le médecin annonce que la jeune femme porte, comme beaucoup d’autres, l’enfant de ses tortionnaires…

Un livre, certes pas très littéraire, plus proche du témoignage journalistique que de la fiction qu’il est cependant, un livre qui parle enfin des femmes qui n’ont eu que le droit de subir et de subir l’ultime, l’extrême, l’indicible dans un combat qui ne les concernait le plus souvent en rien. Un livre qui nous rappelle que ces événements ont eu lieu derrière notre porte, à deux pas de notre maison et que nous n’avons pas vu, pas voulu voir, pas su regarder.

Elle n’a pas de nom, comme les autres personnages du roman, seulement une initiale, car on l’a privée de sa personnalité, on l’a dépossédée de son humanité, on en a fait une chose « puisque son père est musulman, elle ne peut être à leurs yeux que musulmane. La mère en ces contrées ne compte pas. »