Arcadio
de William Goyen

critiqué par Jlc, le 19 avril 2011
( - 80 ans)


La note:  étoiles
Visiteur de solitude
« Arcadio » est le dernier livre écrit par William Goyen, très peu de temps avant sa mort en 1983. Plus qu’un livre testament, même si pour lui « tout est autobiographique », on peut y voir un adieu au monde, fait de références à sa vie, notamment sa rencontre quasiment mystique avec Dieu, rencontre née d’une petite bible achetée un dollar. On y retrouve aussi des thèmes récurrents à toute son oeuvre telle la quête de l’autre, la famille dispersée, la découverte de la foi, la sexualité marquée du sceau de la culpabilité. « Arcadio » est surtout un livre sur la dualité –le bien et le mal, l’un et l’autre- et sur la réconciliation comme si Goyen voulait partir l’âme apaisée. « Jesucristo » est le visiteur de la solitude d’Arcadio comme le Christ l’est de la solitude de Goyen.

En retrouvant une vieille carte postale représentant un tableau de William Hunt « La lumière du monde » où irradie la présence d’un Christ avec une lanterne frappant à une porte fermée depuis longtemps par une végétation exubérante, (tableau reproduit sur internet), l’auteur se souvient du « soir d’un été ancien » où son oncle raconta avoir aperçu un hermaphrodite qui se baignait à la rivière, la partie féminine de son corps « baptisant » la partie mâle et vice versa. Au dos de la carte, un nom : Arcadio. C’est ce personnage qu’il va chercher, retrouver et qui lui chantera l’histoire de sa vie. Ce superbe métis a travaillé dans un cirque comme monstre de foire ou aboyeur pour attirer la clientèle. Sa mère mexicaine, Chupa, « à la beauté fanée qui s’usait comme la robe qu’elle portait » l’a abandonné et il a vécu avec son père, américain, alcoolique, dans un bordel où, dès l’âge de onze ans, il fit le « bonheur » trouble, sordide et vénéneux des clients et des locataires, devenant totalement « esclave de ses sensations ». Il reçoit une petite bible qu’un nain athée lui lit et il découvre les mots pour s’exprimer et comprendre. Fasciné par la parabole du paralytique des évangiles, sa foi naïve lui fait entendre la voix de Dieu qui lui conseille de s’accepter comme il est et d’aller « sur la chemin de l’acceptation ». Se sentant perdu dans ce « monde pourri » où il est le « champ de bataille de lui même », il s’évade pour rechercher sa mère, la retrouve, (mais « être trouvé n’est-ce pas être perdu ? »), connaît un demi-frère et toute une cohorte de personnages étranges, tous à la recherche de réconciliation. La fin du livre, où les événements se bousculent à la façon d’un film accéléré, est un peu moins réussie comme si l’auteur écrivait vite, pour avoir le temps de finir.

Mais « Arcadio » est bien plus qu’une histoire fantastique et lyrique. L’affirmation d’Arcadio : « C’est de chanter qui est important pour moi, ce n’est pas la chanson », renvoie à un propos de Goyen : « Ce n’est pas l’histoire qui m’importe mais le style. » Cet écrivain fait entendre sa « petite musique » bien singulière, poésie nostalgique donnant à ses écrits une tonalité « musicale ». Il réussit le tour de force, parfaitement rendu par son traducteur Patrice Repusseau, de faire parler Arcadio dans un dialecte « mescain » qui mélange l’anglais et l’espagnol pour dire sa dualité, mi homme mi femme, latino et anglo-saxon, pêcheur et rédimé. Un dialecte fréquemment ponctué de tics de langage comme « Vous voulez que je vous dise » ou « oyente » qui donnent un rythme particulier au monologue d’Arcadio. Goyen explore par une forme appropriée des sentiments complexes. Il donne vie à des mythes et raconte une fable tout à la fois intemporelle et actuelle avec une imagination exubérante. Certains passages, comme celui où Arcadio apprend à lire sur le plafond du bordel pendant que les clients exploitent son corps double, sont tout à fait stupéfiants.

Ce dernier livre est un très bel adieu à la vie et à la littérature. Il peut apparaître d’un accès un peu surprenant pour qui ne connaît pas le monde de William Goyen mais très vite, comment ne pas se laisser emporter par cette prose superbe ?

« Je suis seul. La nuit tombe. Où est Dieu ? » Question terrible qui rappelle la promesse ancienne que « Jesucristo lui même ne s’en ira pas » et que « La lumière du monde » le guidera à l’instant suprême.