Chants des gorges
de Patrick Delperdange

critiqué par Ori, le 13 avril 2011
(Kraainem - 88 ans)


La note:  étoiles
Navrantes péripéties d’un petit sauvageon
Souffrant d’arriération mentale, le héros de ce court roman, un jeune adolescent de 12 ans, familier des forêts et rivières alentour, fuit son village car il vient d’y tuer le curé pédophile.

Le petit qui ignore jusqu’à son nom et son âge rencontrera au cours de son périple une kyrielle de personnages plus ou moins marginaux qui, tour à tour, le protègeront ou le poursuivront. L’intéressante particularité de cet ouvrage est qu’il donne la parole, chapitre après chapitre, à chacun des protagonistes rencontrant ce fragile gamin, aux prises avec l’adversité.

Sans que son style ne soit particulièrement marquant, ce roman se lit avec un intérêt très soutenu et les nombreux ouvrages de Patrick Delperdange, dont «Coup de froid», un polar remarqué dit-on, nous révèlent sans doute un auteur à découvrir …
Un enfant criminel ? Justicier ? 8 étoiles

Ce roman de Patrick Delperdange a quelque chose de fascinant et de mystérieux. Le personnage principal est un garçon dont on sait peu de choses si ce n'est qu'il a entre 10 et 14 ans, qu'il est assez sauvage, qu'il ne semble pas posséder les mêmes codes que nous et surtout qu'il souhaite tuer l'homme souvent ivre et brut qui vit avec sa mère. Un jour, cet homme se plaint de payer la nourriture de cet enfant alors qu'il ne fait rien et lance un ultimatum : il doit se trouver un petit travail dans la semaine. C'est auprès du curé du village qu'il se rendra sous les conseils de sa mère. Cet homme d'église aura un comportement indécent et on le retrouve poignardé. Commence la cavale de ce petit garçon.

La structure de ce roman est originale. En effet "Chants des gorges" se compose de 7 parties, 7 chants qui renvoient à la confidence de narrateurs différents, mais qui rappellent aussi la structure de certaines épopées. Le petit garçon prend en charge la premier et le dernier chants. D'autres personnages qui seront sur son chemin seront les narrateurs des chants intermédiaires. Le roman est donc polyphonique et la narration avance de façon fluide en changeant de narrateurs. Cela permet aussi d'avoir le regard des autres sur ce petit garçon, celui qui sera appelé "le juste" par un vieux gitan. Ce petit garçon fascine, intrigue, peut faire peur parfois par sa résolution à tuer un homme et par les méfaits qu'il commet froidement estimant agir de façon juste.

Cette mission que s'est fixée ce petit garçon interpelle et nous dérange. Il semble se soustraire à la justice au sens juridique du terme pour l'appliquer lui-même de façon instinctive. De plus, il est souvent appelé "le fils de Marie" et cette volonté de chasser le mal des hommes et de punir les vices lui donne un caractère sacré, salvateur, quasi christique et pourtant il est aussi perçu comme un criminel. La vase, la boue et la saleté ont envahi le roman. Elles semblent représenter métaphoriquement le mal ou les vices des individus. L'enfant y goûte tout en limitant sa propagation. Il semble malmené par l'abjection de certains adultes et exprime le besoin d'y remédier. Ce petit garçon, avec mission rédemptrice, fils de Marie s'en prend aussi à la figure paternelle : " Pourquoi ? J'ai dit avec la vase qui m'entrait dans la bouche. Pourquoi m'as-tu abandonné?". C'est un homme d'église qui a voulu abuser de lui au début du roman ... La religion semble souvent suggérée. Certaines associations peuvent provoquer, ou surtout faire réfléchir.

Je ne connaissais pas cet écrivain et je suis admiratif de la construction de ce roman, de sa façon de donner vie à divers personnages. Chaque narrateur a sa façon de parler et de se comporter. L'histoire avance avec divers narrateurs et ce petit garçon ne laisse pas insensible et paraît insaisissable. Criminel et justicier à la fois, fragile et bestial, ce personnage allie obscurité et lumière.

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 18 juin 2023