De l'infériorité de la femme
de August Strindberg

critiqué par Stavroguine, le 28 mars 2011
(Paris - 40 ans)


La note:  étoiles
De l'indigence de la pensée
Strindberg a publié à peu près la moitié de son œuvre et est déjà reconnu comme un intellectuel influent lorsque paraît, en 1895, ce pamphlet misogyne au titre éloquent : De l’infériorité de la femme – et comme corollaire : De la justification de sa situation de subordonnée selon les données dernières de la science.

De la science, il sera en effet question tout au long de l’œuvre durant laquelle Strindberg n’aura de cesse de convoquer des personnalités de son temps aussi sympathiques que, par exemple, ce cher Cesare Lombroso, inventeur tout aussi bien de la médecine légale que de la théorie du « criminel né », trouvant sa source dans la phrénologie et selon laquelle la criminalité serait héréditaire et le criminel reconnaissable à des caractéristiques physiques. Le même Lombroso prétendait entre autres choses que les femmes étaient moins sujettes à la criminalité puisque moins intelligentes et considérait que l’homme avait évolué des « Noirs », vers les « Jaunes », et enfin aux « Blancs ».

Vous l’aurez compris, Strindberg convoque dans ce texte tout ce que son époque produit de plus infâme : Lombroso, donc, qui lui permet d’établir l’infériorité des femmes par une capacité crânienne supposée inférieure ; Pruner-Bey, pour avancer que le cerveau de la femme blanche se rapproche de celui du « nègre » et « que les facultés de l’âme qui distinguent les nègres – race inférieure – se retrouvent chez la femme ». Bref, tout cela est parfaitement infect.

Toujours est-il que tout ceci, sans l’excuser, on pourrait encore être tenté de le justifier par la popularité des thèses physiognomiques et racialistes en vogue à l’époque. Après tout, quand on se plonge dans un tel ouvrage, c’est moins pour être convaincu que pour avoir un aperçu d’une époque et de sa société. Mais tout de même, à défaut d’adhérer aux thèses et en admettant que les idées ont sur ces thèmes bien évolué depuis plus d’un siècle, on est en droit d’attendre d’un auteur comme Strindberg un argumentaire intelligent et bien construit. C’est bien trop espérer ! Outre les lieux communs racistes de l’époque, donc, Strindberg tente de convaincre de l’infériorité de la femme en ayant recours à des « arguments » minables, voyant par exemple dans la supposée incapacité des femmes à bien faire le café une preuve irréfutable de leur incapacité à fixer leur attention (le tout avec le plus grand sérieux du monde). Tout cela ne vole pas bien haut et l’organisation du pamphlet elle-même est foutraque et brouillonne, à la va comme je te pousse et sans véritable lien entre les idées, pour autant qu’on puisse appeler « idée » cet amoncellement de préjugés et de lieux communs d’une époque.

Finalement, Strindberg ne fait que se livrer à un raisonnement tautologique : il pose que la femme est inférieure à l’homme et le démontre en arguant que « l’infériorité de la femme est une évidence telle que l’on se demande comment a pu se produire ce phénomène extraordinaire, à savoir qu’aujourd’hui encore un nombre considérable d’hommes sont persuadés que la femme est leur égale intellectuelle ». La réponse, bien sûr, est évidente pour Strindberg : seuls des hommes « dégénérés » et ayant perdu le sens « de leur virilité et de leur supériorité » peuvent se laisser aller à penser de la sorte.

Le texte n’est ni drôle, ni intéressant et même sa portée historique est limitée. Au final, c’est surtout l’intelligence de Strindberg qui ressort écornée : qu’un homme du 19ème siècle croie de bonne foi en l’infériorité de la femme passe encore, qu’il justifie sa position avec autant de stupidité est déjà plus contestable, mais qu’il aille jusqu’à se vautrer dans ce que son époque offre de plus minable pour justifier ses préjugés est totalement inacceptable et ce pamphlet fait planer une ombre sur le reste de l’œuvre de l’écrivain : après avoir lu cela, on est en droit de s’interroger sur la portée réelle de celle-ci.

A noter aussi que l’édition offre deux commentaires – chacun plus long que le pamphlet lui-même – des rapports qu’entretenait Strindberg avec les femmes de son temps. S’ils permettent de remettre les choses dans leur contexte, le second n’est guère convaincant quand il tend à démontrer que Strindberg n’était pas vraiment misogyne puisqu’il avait été marié plusieurs fois et avait bien traité ses femmes ; un peu comme on dirait d’un maître qui s’abstenait de battre ses esclaves qu’il n’était pas raciste. Quant au premier, à vous de voir si, après tout cela, vous avez encore la force de faire plus que de le survoler.