Vies et mort de la francophonie - Une politique française de la langue et de la littérature
de François Provenzano

critiqué par Sahkti, le 20 mars 2011
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Francophonie, y es-tu ?
Sait-on encore ce que veut dire la francophonie aujourd'hui? Terme maintes fois utilisé, galvaudé, interprété de 1001 manières, il a longtemps fait les beaux jours d'une certaine politique culturelle, en particulier en France, sans que celle-ci soit pour autant capable de la définir correctement.

Chercheur à l’université de Liège, spécialiste de la rhétorique des discours théoriques et de l’histoire sociale des discours, François Provenzano nous offre quelques pistes pour y parvenir ou, en tout cas, pour mieux comprendre à quel point ce mot a pu servir d'alibi politique à tel ou tel dirigeant, voire même d'élément de discussion dans le débat sur l'identité nationale.
La francophonie n'appartient toutefois pas qu'à la France, n'en déplaise à l'un ou l'autre. Belgique, Québec, Suisse, Maghreb, Afrique et d'autres sont plus que concernés par le concept.
Raison pour laquelle François Provenzano se propose de nous livrer avant tout quelques repères historiques, afin de mieux comprendre la genèse de ce concept, ce qu'on entendait au départ par là. Une démarche bien utile pour mieux cerner les transformations qui se sont opérées au fil des années et à quel point la notion a pu être récupérée par des enjeux politiques et idéologiques qui n'ont pas hésité à la détourner de sa motivation première. C'est que la francophonie, on l'a par exemple brandie lors de l'époque peu glorieuse du colonialisme pour justifier telle ou telle opération "d'occupation" ou de "civilisation" de l'autre. Pas de quoi être fier, certes, mais avec l'éclairage de l'auteur, on comprend mieux les mécanismes qui ont joué en faveur de l'expansion. Sans pour autant les excuser, au contraire. François Provenzano n'est pas toujours tendre dans ses rapports avec le politique, en particulier la France d'aujourd'hui et son principal dirigeant omniprésent qui a encore trop tendance à oublier que sur le vaste échiquier mondial, la France a moins de poids et le français n'est plus forcément la langue de l'élite ni celle qui semble aller de soi.

Un ouvrage instructif qui aide à comprendre l'évolution et les glissements sémantiques, mais aussi à mieux s'immiscer dans le débat politique qui existe depuis plusieurs années et va aller en grandissant, à l'heure où des pays émergents vont occuper le devant de la scène et rebattre les cartes.
La francophonie existe-t-elle toujours et si oui, quel est son impact, quelle est sa puissance réelle ? Qu'en reste-t-il exactement sur les plans éco-politique ou culturel ?
La francophonie n'est pas qu'une institution, c'est également un foisonnement littéraire important. D'où l'utilisation par l'auteur du terme de francodoxie, qui désigne les procédés rhétoriques dont on s'inspire pour évoquer la francophonie.
Pour reprendre les mots de l'auteur, c'est "l'ensemble des discours qui tissent un lien entre ces deux grands ensembles, c'est à dire qui construisent une forme de connaissance sur la littérature de langue française en référence à des valeurs promues par des institutions extra-littéraires" (page 55)

Un texte pointu et très accessible à la fois, dans lequel chacun devrait trouver à méditer sur l'utilisation de notre langue et sa réelle portée.


Le sommaire:
- Avant-propos : pourquoi la francophonie n'a pas d'histoire
- Chapitre 1 : Les histoires en jeu
- Chapitre 2 : Qu'est-ce que la francodoxie ?
- Chapitre 3 : Proto-francodoxie
- Chapitre 4 : Explorations périphériques
- Chapitre 5 : Le paradigme décolonial
- Chapitre 6 : L'appareil francophone et la production d'un savoir francodoxe
- Conclusions et relances