Le royaume de ce monde
de Alejo Carpentier

critiqué par Bluestocking, le 6 mars 2011
( - 30 ans)


La note:  étoiles
Ultima Ratio Regum
Livre surprenant mêlant par une écriture baroque et fourmillante les événements de la révolte des Noirs de Saint-Domingue et l'établissement du royaume noir d'Henri Christophe avec le tissu dense et riche des croyances et des superstitions vaudoues.

Mackandal le Mandingue, marron exilé sur les hauteurs, envoûte bétail puis colons pour les faire mourir, donnant le premier souffle au brasier de la révolution haïtienne. Ti Noel, encore esclave, s'enfuit avec son maître à Santiago de Cuba, mais, perdu au jeu, est livré à lui même. Il finit par devenir le spectateur de la déchéance de cette terre où, avec l'instauration d'une dictature noire, frères et parents s'exploitent cruellement pour la construction d'un palais démesuré et absurde.

Le royaume de ce monde est une oeuvre impressionnante de justesse : si, par cette écriture à la fois réaliste et mythique, la vision des tragédies qui construisirent Haïti est clairement distendue, comme floutée par le filtre du point de vue populaire, on ne peut pas s'empêcher de penser que justement, cette vision particulière est sûrement la plus humaine que l'on puisse donner. Les faits, détaillés par un foisonnement de symboles et par une imagerie traditionnelle, sont bonnement absurdes, les révoltes ridicules, les constructions, payées au prix du sang des taureaux comme des hommes, grotesques, et les mouvements si forts vers la gloire ou la dignité qui agitèrent alors une terre sans identité sont réduits à de vains et animaliers efforts pour survivre.

Inutile de préciser donc que j'ai beaucoup apprécié, tout d'abord à cause de ce style tellement tropical, parfois comme lourd de chaleur ou de fièvre. Le roman, court, se lit rapidement, facilement, tant l'atmosphère mythique est particulière et intrigante.