Fugitives
de Alice Munro

critiqué par FranBlan, le 5 mars 2011
(Montréal, Québec - 82 ans)


La note:  étoiles
Bouquet d'histoires courtes..., inoubliables!
Alice Munro est une écrivaine-nouvelliste canadienne anglaise dont l'oeuvre prolifique et la notoriété sont reconnues. Elle s'est mérité à peu près toutes les récompenses de la littérature anglaise...
Ayant surtout une prédilection pour les pavés littéraires, je n'ai jamais été très attirée par les recueils de nouvelles malgré tout le charme que j'y découvre chaque fois que je m'adonne à leur lecture.
“Fugitives”, que j'ai lu dans sa version originale, "Runaway", est un recueil de huit nouvelles parlant de femmes en partance pour une possible autre vie...
Les personnages centraux sont tous féminins, jeunes ou moins, mais toutes à un moment charnière de leur existence. Un moment où elles vont fuir et chercher autre chose, un autre sens. Une douce cassure, un élan, parfois même une belle escapade.
Des ponts sont jetés parfois entre les nouvelles, et l’on peut retrouver de mère en fille des échappées belles qui s’enchaînent et se répondent.
Alice Munro décrit les vies de ces femmes avec une infinie délicatesse et une grande psychologie, sans aucun jugement. Elle sait d'une histoire à l'autre, en peu de mots, nous faire entrer dans les vies de ses personnages, chaque nouvelle est une vie en soi et on ne prévoit jamais comment celles-ci vont se terminer.
C'est le cas dès le début avec l'histoire au titre éponyme, Carla pense retrouver un mari plus tendre après sa fugue mais la vérité est beaucoup plus terrifiante. On passe alors le reste du livre à s'inquiéter pour ces héroïnes qui cherchent uniquement à fuir leur vie, à changer leur quotidien.
L'auteure se montre d'ailleurs sans pitié avec elles, il semble que le prix de la liberté, de l'indépendance soit cher et qu'il faille toujours le payer un jour ou l'autre.
L'écriture de cette grande auteure est impeccable, d'une qualité supérieure, empreinte de poésie malgré l'absence de lyrisme et la concision du propos.
Une lecture heureuse, inoubliable, au genre addictif..., à n'en plus douter!
Impressionnée 9 étoiles

Je ne suis pas une passionnée de nouvelles même si je reconnais avoir lu de belles choses. Les bonnes critiques sur CL m'ont poussée à faire la connaissance de cette auteure.
Et quelle découverte !
J'ai été impressionnée par ces tranches de vie, ces destins de femmes, cette justesse dans les personnages, les situations, que ce soit à n'importe quel âge de la vie ; séduite par les descriptions superbes des environnements, le suspense savamment dosé dans la construction narrative, l'émotion des abandons…
"Mieux valait ne pas chercher d'échappatoire, mieux valait ne pas ignorer ce coup. Car si l'on parvenait à le faire pendant quelque temps, il fallait s'attendre à le voir revenir vous frapper , avec une violence à vous couper le souffle et vous estropier, en pleine poitrine."


Impossible de décrire chacune de ces 8 nouvelles car aucune ne démérite ; peut-être oserais-je exprimer une préférence pour Juliet, personnage récurrent que l'on va retrouver dans la découverte d'un amour, la fin d'un couple, son deuil et surtout dans la disparition, l'éloignement volontaire de sa fille unique Pénélope, celui qui m'a vraiment le plus touchée.
"C'est donc cela le chagrin. Elle a l'impression qu'un sac de ciment déversé en elle a rapidement durci."

Et avant de poster ma critique, je viens de découvrir le fil qu'Aria avait lancé "Alice Munro, reine de la nouvelle" ; message posthume pour lui dire que je partage totalement son avis.

Marvic - Normandie - 66 ans - 2 août 2015


Ne pas se laisser imposer sa vie 6 étoiles

L’instant du choix, tel est le thème des 8 nouvelles au titre court qui composent ce recueil : Fugitives, Hasard, Bientôt, Silence, Passion, Offenses, Subterfuges et Pouvoir. Trois d’entre elles font intervenir le même personnage central.

Les héroïnes sont toutes des femmes aux prises avec un avenir souvent tracé pour elles et qu’elles incurvent légèrement ou radicalement. Une opportunité fait prendre des décisions de changement du fait d’une sorte de vague ennui ou une insatisfaction latente. Et si elles se demandent parfois avec nostalgie quelle aurait pu être leur vie si elles avaient fait un autre choix, elles assument sereinement ce qu’elles ont fait. Ce sont des récits de l’occasion qui passe, qu’il ne faut pas rater car elle ne se reproduira plus dans cette configuration. Et après, il est trop tard, on ne peut reproduire les circonstances favorables car on a vieilli, mûri, appris.

IF-0414-4209

Isad - - - ans - 12 avril 2014


1 étoiles

Frunny - PARIS - 59 ans - 1 décembre 2013


Le salut est dans la fuite? 9 étoiles

Subterfuges, où l'on parle d'une robe verte.

" J'en mourrai, avait dit Robin un soir, voilà des années. Si ma robe n'est pas prête,j'en mourrai."

Il est beaucoup question de vêtements, dans ces nouvelles qui portent toutes un titre très bref, Hasard, Bientôt, Passion, Pouvoirs, etc .
Parce qu'il y a beaucoup de souvenirs, et que finalement, on se souvient que ce jour là, le jour où le destin a basculé, ou plutôt aurait pu, on portait une veste à carreaux ocre et brun. Une jupe évasée bleu foncé et un chemisier blanc.
C'est très calme, presque nonchalant, et..

tout pouvait rester joyeux , mais d'une joie pleine de couteaux

Calme et tranchant.

Tous les personnages centraux fuient . Ou essaient. Quelquefois il est beaucoup trop tard. Quelquefois le hasard fait très mal les choses. Quelquefois, l'histoire les rattrape. Ainsi Juliet, que l'on retrouve dans 3 textes, qui part , quitte tout à cause d'une lettre reçue, fait une rencontre dans un train. C'est elle qui sera quittée des années plus tard par sa fille qu'elle ne reverra jamais.

Elle continue d'espérer un mot de Pénélope, mais sans aucun acharnement. Elle espère comme les gens espèrent sans se faire d'illusions des aubaines imméritées, des rémissions spontanées, des choses comme ça.

Un art de décrire le gâchis.

Même si j'aime beaucoup l'histoire de la robe verte, je crois que ma préférée est intitulée Passion
La passion soudaine de Grace pour une famille d'abord. Puis pour un de ses membres, Neil. Et là, c'est l'homme qui va lâcher prise, parce que , comme son père qui s'est suicidé, c'est très brièvement signalé ( comme tous les faits importants, dans ces nouvelles..), il ne peut faire autrement.

"Parle-moi de ce qui t'intéresse, alors.Qu'est-ce qui t'intéresse?"
Elle dit," Vous"
"Ah bon. Qu'est-ce qui t'intéresse chez moi?"Il lui lâcha la main.
"Ce que vous faites en ce moment, dit Grace avec détermination.Pourquoi."
" Tu veux dire boire? Pourquoi je bois?" Il déboucha de nouveau la flasque. "Pourquoi tu ne me le demandes pas?"
"Parce que je sais ce que vous diriez"
"Ah oui,quoi? Qu'est-ce que je dirais?"
"Vous diriez, qu'y a-t-il d'autre à faire? Ou quelque chose dans ce genre là."
" C'est vrai, dit-il. C'est à peu près ce que je dirais. Et puis, après,tu essaierais de me dire pourquoi j'ai tort."
"Non, dit Grace. Non, je n'essaierais pas.
Quand elle eut dit cela, elle se sentit glacée. Elle avait cru parler sérieusement mais elle voyait à présent qu'elle avait essayé de l'impressionner par ses réponses, essayé de se montrer aussi blasée que lui, et qu'en chemin, elle venait de se heurter à cette vérité fondamentale. Cette absence d'espoir- authentique, raisonnable, et définitive.


Bouleversante, celle-là.

Très bonnes nouvelles, pleines de finesse!

Paofaia - Moorea - - ans - 22 octobre 2013