Léonard, le duc et le prieur
de Jean Frémon

critiqué par Sissi, le 25 janvier 2011
(Besançon - 53 ans)


La note:  étoiles
Courte fable et éphémère idée.
On a beaucoup écrit sur le syndrome de la page blanche, Jean Frémon, lui, s’emploie à dépeindre le syndrome du pinceau suspendu.
Que se passe-t-il lorsque le grand Léonard de Vinci, en personne, ne parvient plus à déposer une once de couleur sur un tableau pourtant quasiment achevé ?

« L’Histoire veut des historiettes pour se faire comprendre. »
Plus qu’une historiette, c’est une fable.
Parce que l’histoire, finalement, n’a guère d’importance. Peu importe qui sont le duc et le prieur.
C’est la morale de cette histoire, qui compte, et le message qu’elle délivre.
L’histoire, Jean Frémon ne la raconte uniquement pour « qu’elle serve d’exemple, aux poètes fats qui croient qu’on crée à partir de rien, ou de soi. »

C’est une très belle réflexion sur l’art pictural, l’importance que revêt le plus infinitésimal détail « leurs mains disaient leurs arguments, la chose muette est éloquente. », et tout le travail en amont qu’elle requiert « peindre, c’est transformer, transformer de la matière et transformer les apparences ; on ne saurait transformer ce qui n’est pas. Aucun homme n’est aucun autre et cependant tout homme est tout l’homme, c’est dans cet entre-deux qui se tient l’art du portrait. »

Au delà de la peinture à proprement dit, c’est une très belle ode à la création, on y perçoit toute la difficulté à produire le juste et le beau ( « Il faut mentir vrai pour dire juste »), les affres de la quête insensée (souvent vaine, parfois récompensée) de l’artiste (enfin, le vrai.....), et le nécessaire refus de déserter l’exigence pour s’affaler sur le tissu factice du talent facile.

Vingt-sept pages.
C’est court mais intense.
Et ça prend tout son sens quand on voit que beaucoup considèrent de nos jours qu’il suffit de quelques légères prédispositions ou inclinaisons naturelles pour peindre, écrire ou chanter n’importe quoi…
La Cène 8 étoiles

Juste une petite nouvelle, présentée dans un joli petit livre, qui évoque la rencontre entre Ludovic le More, au temps des Sforza à Milan, et Léonard de Vinci, lorsque le premier commande au second une fresque pour décorer le réfectoire de Sainte-Marie-des-Grâces. Léonard choisit le thème qui s’impose : la Cène qui symbolise si bien le repas, la communion avec Dieu. Mais, le peintre veut dépasser le sacré pour plonger au cœur de l’être humain et débusquer dans le profane le bien et le mal qui se nichent au fond de chacun pour suggérer ce qui ne peut-être montré. « Leurs gestes et leurs yeux disent ce qu’ils sont ». Le More ne comprend pas les desseins du peintre qui est contraint de lui donner les clefs de son œuvre et lui ouvrir les yeux sur la façon dont il conçoit l’humanité.

Encore la preuve qu’un texte court peut dire beaucoup quand il est écrit, comme celui-ci, avec une grande sobriété et une grande pureté. Une épure et une belle méditation sur l’être humain qui n’est pas toujours celui qu’on voit car « nul, dans la vie, n’est égal à la somme de ses apparences. »

Débézed - Besançon - 76 ans - 11 avril 2011