La chose écrite
de Jean Dutourd

critiqué par Jlc, le 19 janvier 2011
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Pour saluer Dutourd
Au moment où Jean Dutourd disparaît, il serait injuste de ne garder de lui que le souvenir d’un érudit invité constant des « Grosses têtes » de Philippe Bouvard ou au chanteur incertain de « La petite Emilie ». Jean Dutourd fut un bon écrivain et « Au bon beurre » révélait un observateur du monde qui l’entourait plein de finesse et d’humour, parfois féroce.

Ce fut aussi un très grand lecteur. « La chose écrite » publiée en 2009 est un recueil d’articles et de préfaces, toujours intéressants et parfois remarquables, sur « des confrères » et complète un ouvrage précédent « Contre les dégoûts de la vie ».
En exergue de ce livre, trois auteurs de grande qualité. Montesquieu : je n’ai « jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé ». Descartes : »La lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés ». Léautaud plus coquin: »les beaux livres, décourager d’écrire ? C’est comme si vous disiez qu’une jolie femme décourage de faire l’amour ». Il dit dans sa préface comment il devint amoureux fou de littérature tout en refusant longtemps de devenir critique tant il ne supportait pas de lire par devoir pour rendre à temps sa copie. « J’avais eu tant de liaisons amoureuses avec la littérature que je concevais pas que je puisse faire un mariage de raison ».

Ce qui frappe dans ces chroniques, c’est l’amour que Dutourd porte aux livres et à ceux qui les écrivent. Ses goûts sont éclectiques allant de Conan Doyle au cardinal de Retz en passant par Bernanos. Il a tout lu et c’est un régal de découvrir grâce à lui des écrivains que l’oubli a submergés, parfois bien à tort, André Suarez, Léon Bloy, Henri Pourrat, Paul-Jean Toulet et tant d’autres. Il a le sens de la formule et ses titres font mouche : Balzac ou les à côtés du génie pour parler de ses nouvelles, Perrichon sans culotte pour évoquer le journal d’un bourgeois de Paris à la Révolution, le père Goriot de la pédérastie pour dire tout le bien qu’il pensait d’Oscar Wilde. D’autres titres disent plus simplement son admiration pour Marcel Aymé « notre plus grand romancier », Saint Simon « le plus grand des ducs », Alexandre Dumas « 4000 pages de bonheur » ou Giono, entre autres.

Dutourd était un styliste et ce recueil est intelligent, gouleyant, plein de saveur, de bonheur.

« Parler littérature est le plus charmant entretien que puisse procurer la civilisation ». Comme le Journal de Jules Renard, le bloc notes de François Mauriac, les Littératures de Wladimir Nabokov ou les mémoires de Saint Simon, « La chose écrite » ne se lit pas d’une traite mais se déguste de temps en temps, poursuivant une conversation que la mort ne peut interrompre.

Bouteille à la mer: Si un jour ce livre est réédité en poche, ce qui serait une très bonne chose, il serait souhaitable que l'éditeur simplifie la vie du lecteur en présentant une table des matières alphabétique comme l'est l'index des noms cités.