Double faute
de Lionel Shriver

critiqué par Lutzie, le 13 janvier 2011
(Paris - 59 ans)


La note:  étoiles
Rivalité tous terrains
Willy a vingt-trois ans et le tennis est son métier, sa passion, une fin en soi. Depuis l’âge de 5 ans où elle a tenu sa première raquette, ce sport emplit sa vie, à l’exclusion de tout autre chose. Une vie rythmée par un entraînement intensif (vitesse, muscu, endurance) et bien sûr les tournois, toujours plus qualifiants. Des tournois qu’elle enfile comme des perles et que son tempérament de battante, associé à un talent indiscutable, lui font rarement perdre. Son classement à la WTA (Women Tennis Association) est prometteur puisque, en cette année 1992, elle est parmi les 250 premières joueuses mondiales.

Un jour, après avoir proprement atomisé un Italien rouleur de mécaniques, elle accepte dans la foulée de renvoyer la balle à un admirateur surgi de sous la haie, grand échalas dégingandé qui la bouffait des yeux depuis un petit moment. Il joue d’une façon plutôt déstructurée mais il a du potentiel, comme on dit. Il est d’ailleurs 900ème et quelque à l’ATP, ce qui n’est pas si mal. De match en match, ils se côtoient de plus en plus et Willy se met à aimer « le tennis sans la balle ». Et puis, ils-se-marièrent-et-eurent… quelques surprises. Car que croyez-vous qu’il se passa ?

Il n’est pas nécessaire d’être fondu de tennis pour apprécier ce livre, ni d’être un familier de ses stars inaltérables auxquelles il est souvent fait allusion (le livre a été écrit en 1997). Sûr, la pratique de ce sport, ou un intérêt ne serait-ce que télévisuel, donnent aux passages un peu techniques tout le piquant voulu. Mais il serait réducteur de s’en tenir là.

L’auteur dissèque le cheminement et les affres de ce couple, en mettant en lumière l’histoire familiale de chacun, qui pèse de tout son poids dans leur parcours et leurs choix. Mais surtout, elle analyse avec une très grande finesse la part du tennis dans leur vie, parvenus à ce niveau de compétition. Car au-delà de l’engagement physique et mental, et des contraintes ou sacrifices qui vont avec, c’est bien deux points de vue antagonistes qui s’opposent. Ce qui n’empêche pas l’amour. Mais quel amour, au fait ? Celui du sport, de soi, de l’autre ? Aucun des trois ou les trois à la fois ? Et qui est le plus doué pour ça ?

Outre une écriture mordante, ce qui rend ce roman passionnant, c’est sa dimension psychologique. Car l’auteur n’épargne personne et dissèque les comportements au scalpel. Le personnage de Willy est le plus fouillé, le plus complexe aussi, mais celui d’Eric, son mari, est également très travaillé, ce qui équilibre le regard du lecteur et permet d’éviter tout parti-pris. Si certaines réactions d’Eric peuvent sembler peu crédibles, c’est sans doute pour mieux alimenter le fil directeur de cette histoire, qui se dévore avec un intérêt croissant. Le livre regorge de phrases percutantes, et l’on se dit qu’il faut une maturité évidente pour exprimer, en creux, cette intelligence de la vie.

Mais j’aurai aussi des réserves, somme toute mineures. Ainsi, malgré une traduction a priori excellente, l’écriture manque de fluidité, voire présente de vraies lourdeurs. Quand il faut relire les phrases deux ou trois fois pour mieux en apprécier l’impact, cela peut finir par agacer.
On pourra aussi trouver les personnages caricaturaux, mais je veux y voir la matière à une analyse remarquable des situations, du point de vue de chacun.
Quant au dénouement, si les motivations de Willy s’inscrivent dans la logique, je suis restée perplexe devant l’attitude d’Eric, ambiguë et sujette à plusieurs interprétations. Mais là, c’est bête, il n’y aura pas de deuxième service.