Dans la foule
de Laurent Mauvignier

critiqué par Rouchka1344, le 8 janvier 2011
( - 34 ans)


La note:  étoiles
Un coup de Coeur, une découverte, un Mauvignier !
Tout commence un 29 mai 1985 à Bruxelles. Il fait beau, l'été arrive. Jeff et Tonino viennent de France, Geoff et ses frères de Grande-Bretagne et Tana et Francesco qui viennent de se marier de l'Italie. Il y aussi Gabriel et Virginie vivant à Bruxelles. Tous sont venus pour "le match du siècle", la finale de la coupe d'Europe. Et puis, tout d'un coup, leur vie bascule ! Parce que le 29 mai 1985 est la date non pas de la victoire des Italiens champion d'Europe, non, mais c'est celle de l'une des plus grandes tragédies due à une manifestation sportive: 39 morts, 600 blessés. Le drame du Heysel.

Laurent Mauvignier va donc choisir cette tragédie pour articuler son récit. Récit polyphonique, l'auteur donne vie à ses personnages en leur donnant la parole avant, pendant et après le drame. C'est poignant, bouleversant et sincère, jusqu'à avoir une boule dans la gorge à certains moments. Pas une fois on n'a envie de se détacher de ces pages. On lit le destin de ces personnages changé, leur vision du monde se modifier, et cette envie de continuer malgré tout, d'essayer d'oublier pour certains, d'autre de vivre avec sans en avoir le choix. Chacun rentrera chez lui en laissant une partie de lui-même dans la poussière du bitume du Heysel.

Il est difficile de dire avec les mots ce que j'ai pu ressentir à la lecture de ce roman, car ce n'est pas un livre qui se raconte, mais un livre qui se lit. Je ne peux que vous inviter chaleureusement à vous y plonger et à vous laisser bercer par une grande écriture. Laurent Mauvignier, un auteur que je n'oublierai pas de sitôt.

"Incroyable.
Impensable. Inimaginable.
Terrifiant. Monstrueux . Dégueulasse et puis après ce sera au tour d'atroce, d'abominable et les larmes dans les yeux de Tonino, comme ça, à cause de tout ce qu'on peut dégueuler d'adjectifs qui ne diront jamais rien, puisque les mots sont comme des gamelles creuses dont le fer ne fait résonner que du vide."
Un drame annoncé 9 étoiles

D'abord, dès les premières pages, il y a l'écriture, oui, qui surprend. Hachée, parlée, mais fluide et très minutieuse, très avide de détails.
Mais aussi le thème abordé. Parce que d'emblée, c'est comme dans un policier, on sait que ça va mal finir. Qu'il y a au moins un des personnages de ce roman choral , un de ceux qui se présentent eux-même dès le début du livre ,qui va finir comme sur les images que personne ne peut oublier, écrasé par la foule sous l'assaut des supporters anglais, le corps piétiné et les poumons explosés.
Alors lequel , ou lesquels? Il y a les Belges, Gabriel et Virginie, si heureux d'avoir récupéré des billets et qui se les font voler par les deux compères pas bien méchants Tonino l'Italien et Jeff, l'orphelin de père. Il y a le couple italien en voyage de noce Tana et Francesco, qui ne sont pas passés par l'église pour se marier, et est ce que la mère de Francesco dira que c'est une punition divine, quand elle apprendra la mort du fils ? Cours, Tana, cours, ce seront ses dernières paroles...
Et puis il y a les frères de Liverpool, ils sont trois. Deux boeufs, et puis le jeune, qui ne voulait pas venir, mais le père y tenait, qui ne voulait pas courir, et qui l'a fait quand même, qui voudrait bien haïr ses frères, mais qui les aime quand même.

D'emblée, on panique. On attend le désastre. Et c'est dans les longs monologues intérieurs de chacun de ces personnages que l'on assiste au chaos, aux cris et à la fuite, puis à la solitude et au deuil.
C'est bouleversant.

Un petit extrait:

Mes parents seront l'un et l'autre comme des enfants qui ne comprennent pas les rites et les conversations d'un groupe d'adolescents, ou, plutôt comme des vieux un peu pantelants et tremblants, tout gringalets, sur des chaises en rotin qui craquent autant que leurs os ou les idées qu'ils se font pour soutenir un monde qu'ils ne comprennent plus. Et moi, je les regarderai avec ce sentiment de partager avec eux la désolation d'une époque qui s'enorgueillit de sa bêtise et de son sens du spectacle. J'aurai la calme commisération qu'éprouve vis à vis de la faiblesse celui qui voit les rouages entraîner dans leurs mouvements des gens qui ne peuvent ou ne savent pas lutter, des gens nus comme des papillons qu'on épingle sur un tableau au-dessus d'un nom savant qu'ils ne servent qu'à illustrer, eux, avec leur coeur de chair et de sang, tout leur corps, de leurs yeux mouillés à leurs mains crispées, et les mines effarées derrière lesquelles ils rabâchent quelques idées pour se bricoler une vie....

Paofaia - Moorea - - ans - 14 novembre 2013


Trop bavard pour être profond 4 étoiles

Le 29mai 1985, les amateurs de football, au lieu de voir une finale de la coupe des Clubs Champions d'Europe entre les équipes de Liverpool et de la Juventus de Turin, ont assisté - suffoqués - à des affrontements meurtriers entre supporters anglais (les plus agressifs) et italiens.
En suivant des supporters anglais, belges, italiens et français venus à Bruxelles pour ce match, Laurent Mauvigner nous livre l’interaction entre leurs destins personnels et leur comportement avant, pendant et après le match. La partie la plus réussie du livre est celle qui concerne les destins personnels. Ce qui touche au drame du match est, pour moi, peu intéressant. Certes, quelques discours des anglais, quelques mouvements de foule au moment même du drame, quelques émotions lors du procès forment des passages intéressants et instructifs. Mais ce livre est bavard et ce bavardage ensevelit l'intensité et la profondeur esquissées dans certains paragraphes. Mauvigner témoigne d'un immense talent, mais j'ai l'impression qu'il écrit facilement, au fil de la plume (ou de l'ordinateur) et loupe ainsi la grande leçon d'humanité et de répugnance par rapport à la stupide violence des foules qu'il annonçait.

Falgo - Lentilly - 85 ans - 14 juillet 2012


De l'impensable au monstrueux..la vie des Hommes 10 étoiles

L'évènement c'est le drame du stade du Heysel. Aujourd'hui encore dans nos mémoires. Laurent Mauvignier situe ses personnages avant, pendant et après le drame. Avant, ces supporters de Liverpool, quasi marginaux, abrutis de bière et de tabac ; deux Français déjà un peu égarés ; deux jeunes mariés italiens qui viennent de braver toutes les traditions de leur pays en convolant en secret, sans inviter parents et amis et surtout sans sceller leur union dans la religion ; un couple de Belges et leurs amis, accueillants (trop?) qui seront abusés par les deux français qui voleront leurs tickets d'entrée au stade. Survient la catastrophe. Vous avez le souffle coupé, la bouche desséchée. Le jeune marié italien perdra la vie dans la débâcle, le jeune français (d'origine italienne) sera blessé. Nous vivrons leur nuit suivant l'accident et nous les retrouverons trois ans plus tard. La force étonnante de cet ouvrage n'est pas tant dans l'évènement que dans la façon dont L.Mauvignier nous fait entrer dans chacun des personnages dont le destin est articulé par cette tragédie. C'est un très grand livre sur la nature humaine, à la fois très juste et très pudique. Une palette de sentiments et de vie qui nous emporte au plus profond de la nature humaine... pas toujours belle !

Lectio - - 75 ans - 26 mai 2012