Les mains sales
de Jean-Paul Sartre

critiqué par Jules, le 18 mars 2002
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
L'action, la fin et les moyens
Cette pièce date de 1948. Nous sommes ici immergés dans l'univers des idées sartriennes sur la définition de l’homme par ses actes et non ses pensées.
Il est indiscutable que certains volets de cette pièce ont assez fort vieilli. C’était l’époque où une certaine jeunesse se sentait très concernée par les problèmes politiques et les débats d'idées dans ce domaine « enflammaient » la France. Aujourd'hui, à l’ère des politiciens plus technocrates qu'idéologues (y a-t-il encore des idéologies ?…), tout cela nous semble bien loin de nous.
Nous sommes en Illyrie en pleine guerre 40-45. Le pays s'est mis du côté des Allemands et a déclaré la guerre à l’URSS. Les communistes résistent et s'organisent. Dans le premier tableau, Hugo sort de prison et revient au siège du parti où il retrouve Olga. Deux ans auparavant, il avait été chargé par son groupe du parti de tuer un de leurs chefs nommé Hoederer. Ce dernier était soupçonné de préparer un accord « opportuniste » entre le parti, le Régent et la droite nationaliste. Il l'a abattu et a été arrêté. A peine a-t-il le temps de discuter un peu avec Olga qu'un groupe arrive avec pour mission claire de l’abattre. Il gêne.
Qui était Hoederer et que voulait-il vraiment faire ? Comment Hugo est-il arrivé à le tuer et pourquoi était-il volontaire pour cette besogne ? Pourquoi gêne- t-il ? Que cherche-t-il au parti ?
Un flash back et nous voilà deux ans plus tôt dans l'immeuble occupé par Hoederer entouré de ses gardes du corps. Hugo vient d'être engagé comme son secrétaire et est accompagné de sa femme, Jessica.
On comprend de suite qu'Hugo, fils de bourgeois, est à la recherche d'une reconnaissance de son utilité au sein du parti. Lui, il n'y est pas entré parce qu’il avait faim, mais bien par choix. Il n'est, aux yeux des autres, qu’un petit intellectuel gâté dont on se méfie.
Hugo, qui passe son temps à jouer des rôles avec Jessica, se plaint de ne plus savoir distinguer ce qui est jeu de ce qui est vrai. Mais bien vite il sentira à quel point Hoederer, un véritable homme d’action, est, lui, tout à fait vrai !
De son acte, il dit à Olga : « Un acte ça va trop vite. Il sort de toi brusquement et tu ne sais pas si c'est parce que tu l’as voulu ou parce que tu n'as pas pu le retenir. Le fait est que j'ai tiré. » Il y a là indiscutablement une similitude entre Hugo et le Meursault de « L’Etranger » ! Chacun semble avoir accompli un acte sans qu’il ait été pleinement voulu par sa conscience. Cet acte ne pourrait donc, selon les idées de Sartre, contribuer à vraiment les définir. Ce n'est d'ailleurs qu'à la dernière réplique de la pièce qu'Hugo va enfin poser l'acte qui le définira, l'acte conscient et voulu. Et d'ailleurs, qui est vraiment « vrai » ? Ecoutez Hugo : « .un père de famille, c'est jamais un vrai père de famille. Un assassin c'est jamais tout à fait un assassin. Ils jouent, vous comprenez. Tandis qu'un mort, c’est un mort pour de vrai. Etre ou ne pas être, hein ? »
Et Olga va encore une fois tenter de le pousser vers ce qui serait un acte « vrai », alors qu'elle lui fait comprendre qu'à ne rien faire, il va se faire abattre par ses propres amis : « Mais mourir si bêtement, après avoir tout raté ; se faire buter comme une donneuse, pis encore comme un petit imbécile dont on se débarrasse par crainte de ses maladresses. Est-ce ça que tu veux ? »
Et Hugo qui, un peu plus tard, dira encore : « Est-ce que je sais ce que je vais faire ? » Mais il s'approche du but quand il dit enfin : « Ce qu’il veut, ce qu'il pense, je m’en moque. Ce qui compte c’est ce qu’il fait. »
Mais nous allons arriver à l'essentiel, au vrai débat d’idées ! Hugo et Hoederer vont se disputer et chacun va étaler ses conceptions de ce qu'il pense être la vérité. A Hugo qui parle de la nécessaire « pureté » du parti, Hoederer va répondre « Si tu ne veux pas courir de risque il ne faut pas faire de la politique. » Hugo dit que le parti ne doit pas prendre le pouvoir à tout prix et il s’attire cette réponse : « Un parti, ce n’est jamais qu’un moyen. Il n'y a qu’un seul but : le pouvoir. » Hugo répond : « Il n'y a qu’un seul but : c’est de faire triompher nos idées, toutes nos idées et rien qu’elles. » Et Hoederer : « C'est vrai : tu as des idées, toi. Ca te passera. »
Hugo ne veut pas que le parti mente, car cela revient à mépriser ses membres, et il lui est répondu : « Je mentirai quand il le faudra et je ne méprise personne. » Hoederer continue en affirmant que « Tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces. » Et enfin il arrive au fond du problème : « Comme tu tiens à ta pureté, mon petit gars. Comme tu as peur de te salir les mains. Eh bien reste pur ! A quoi cela servira-t-il et pourquoi viens-tu parmi nous ? La pureté, c’est une idée de fakir et de moine. Vous autres, les intellectuels, les anarchistes bourgeois, vous en tirez prétexte pour ne rien faire. Ne rien faire, rester immobile, serrer les coudes contre le corps, porter des gants. Moi j’ai les mains sales. Jusqu’aux coudes. Je les ai plongées dans la merde et dans le sang. Et puis après ? Est-ce que tu t’imagines qu’on peut gouverner innocemment ? »
Voilà le credo de l'homme d'action qui se définit à chaque pas de sa marche en avant, par rapport aux hésitations et scrupules de l'intellectuel qui pense plus qu’il ne fait. Mais, tout compte fait, chacun se définit autant. Il n'y a pas que l'action pour se définir !
Et puis, la fin justifie-t-elle les moyens ? La réponse à cette question va varier d’un homme à l'autre. Pour l'homme d'action, bien souvent oui, pour l’intellectuel, bien souvent non ! En 1958, Sartre reprochait à Jean-Daniel de l'Express de publier des textes contraires aux intérêts de la cause algérienne et il reprendra les idées d’Hoederer : « Il « faut » dissimuler quand on fait de la politique. La politique, il faut l'accepter, cela implique une contrainte de faire certaines choses. Autrement on est une belle âme et on ne fait pas de politique. » (Jacques Duquesne « Pour comprendre la guerre d’Algérie » page 133) Voilà ce que Camus n'acceptait pas et qui provoquera la rupture de leurs relations.
Il arrive aussi à Sartre de contredire sa théorie existentialiste quand Hoederer dit à Hugo : « On est tueur de naissance. Toi tu réfléchis trop : tu ne pourrais pas. » Voilà qu'il souscrit soudain à une forme de déterminisme.
Une autre réplique qui fait penser à « L'Etranger » arrive quand Hugo tente d’expliquer son meurtre : « Le hasard a tiré trois coups de feu, comme dans les mauvais romans policiers.. Mais moi, là-dedans, qu'est-ce que je deviens ? C'est un assassinat sans assassin. » Une fois de plus, Hugo n'assume pas, ne se définit pas en fonction de son acte, parce qu'il n’a pas vraiment été « voulu ». Son premier acte de volonté ne viendra que plus tard.
La fin de l'histoire sera assez surprenante et nous découvrirons que la « vérité » n’est pas quelque chose d’immuable et qu'on la sert ou la dessert suivant les moments.
Est-ce la volonté de s’engager politiquement, d'agir plutôt que de penser, qui fera que Sartre défendra l'intervention des Soviétiques à Berlin, à Budapest, à Prague ?. Qu'il attaquera Khrouchtchev quand celui-ci dénoncera les crimes de Staline ? .
Une pièce écrite pour défendre une philosophie.
... mais la conscience propre 10 étoiles

Hugo est chez Olga. Il vient de sortir de prison, pour le meurtre d'Hoederer. Deux ans plus tôt, il avait été missionné par le parti prolétaire d'Illyrie, auquel appartient également Olga, pour tuer cet homme, soupçonné de vouloir signer un accord avec les autres partis du pays. Mais aujourd'hui les choses ont changé, et Hoederer est un héros de leur cause. La raison officielle de son meurtre est la jalousie, Hugo aurait surpris sa femme Jessica en train d'embrasser l'homme politique.

Olga a pour mission de comprendre l'état d'esprit d'Hugo. S'il est prêt à endosser la fable de la jalousie comme cause de son acte, il sera sauvé. Dans le cas contraire, deux membres du parti prolétaire viendront pour tuer Hugo. Hugo a une heure devant lui, une heure pour évoquer avec Olga ce qu'il s'est passé deux ans auparavant, lorsque, jeune bourgeois cherchant une place pour le parti, il avait été envoyé comme secrétaire particulier auprès de Hoederer.



J'ai lu et relu Les mains sales une bonne dizaine de fois. J'ai découvert cette pièce dramatique en sept tableaux à l'adolescence, à l'âge où les "com-promis" ne sont rien d'autres que de "connes-promesses", où la pureté des idéaux prime sur la sagesse, où l'intolérance face à l'injustice est totale. Bien sûr, Les mains sales portent sur l'engagement politique. Mais ça n'était pas du tout ce que moi j'en avais retenu.

Peut-on endosser une cause et ses idéaux alors que notre naissance, notre sexe ou notre âge devrait nous amener à en épouser d'autres ? Comment peut-on intégrer cette cause sans toujours être montré du doigt ? Peut-on aimer quelqu'un pour ses qualités et le tuer pour ses principes ? Une cause est-elle idéologique et donc intolérante, ou politique et donc stratégique ? Comment concilie-t-on sa propre vision de la justice à celle des autres ? Voilà ce qui retient mon attention, ce que je prends, moi, de cette pièce de Sartre. On pourra me parler de l'opposition action/idée, de la politique, de "déterminisme" ou de l'existentialisme si cher à l'auteur. Pour moi, Hugo est un pur que personne ne prend au sérieux, pas même sa femme, Jessica. Hoederer, lui, c'est un pragmatique, un de ceux qui font avancer les choses, un de ceux pour qui la fin justifie les moyens, et qui a les mains sales. Chacun a son mérite, a sa place, et le monde a besoin des deux pour tourner plus rond. Mais le monde d'Illyrie de 1943 ne permet pas à de tels êtres si différents de pouvoir se côtoyer dans la paix.

Les personnages de Sartre sont beaux et justes, et les dialogues Hugo-Hoederer sont magnifiques. Je n'ai jamais lu d'autres livres de Sartre ; j'ai essayé, mais ça ne m'a pas convaincu. Mais ces Mains sales, elles, je les ai lues et relues, et je les relirais encore, des fois que j'oublie mes propres réponses aux questions qu'elles soulèvent pour moi !

Ellane92 - Boulogne-Billancourt - 49 ans - 27 mai 2015


Anarchisme bourgeois... 10 étoiles

Hugo, un jeune idéaliste, issu du milieu bourgeois, membre du Parti Prolétaire d'Illyrie s'est fait engager chez Hoederer un chef communiste qu'il a le sombre dessein de tuer pour la raison qu'il a « les mains sales ».
« les mains sales », une pièce de Théâtre en sept tableaux qui fut donnée pour la première fois au Théâtre Antoine le deux avril 1948.
Un texte qu'à juste titre on a comparé à celui « Les Justes » de Camus ; une pièce qui traite de l'engagement politique et de ses excès, en même temps que de la valeur que l'on peut donner à la vie et à sa vie…
Un texte fort, qui, quand on le lit à quinze ans comme ce fut mon cas, ne manque pas d'interroger, à l'âge des questionnements existentiels plus ou moins conscientisés. Néanmoins ma pièce préférée de Jean-Paul Sartre.

Lecassin - Saint Médard en Jalles - 68 ans - 22 octobre 2012


L'homme ne se construit que par ses actes 10 étoiles

Pour ma part, je ne trouve absolument pas cette pièce datée ! Evidemment l'épisode évoqué est inspiré entre autres de la dictature hongroise de Von Nagybana dans la première moitié du 20ème siècle, mais les problèmes posés sont universels : peut-on défendre une cause marxiste ou populaire si l'on est bourgeois ? Etre idéaliste n'est-ce pas s'enfermer dans des illusions ? Un homme de réflexion peut-il être un homme d'action ? Les connotations de traîtrise associées à l'acte de se salir les mains ne sont-elles pas injustes s'il s'agit du seul moyen de chasser l'ennemi ?

Hugo est un héros tragique puisqu'il est bourgeois, son engagement ne permet pas de changer l'image qu'ont les autres de lui ("L'enfer, c'est les autres" prend tout son sens dans cette pièce ). Slick et Georges ne voient en lui que le petit bourgeois, classe sociale à éradiquer pour les marxistes. Hoederer qui est pourtant l'homme que doit tuer Hugo par respect pour le Parti prend ce personnage sous sa coupe. Il le défend, le secoue, devient une figure paternelle au grand dam d'Hugo. Comment tuer un homme pour lequel on a de l'affection ?

Hugo n'est en fait qu'un pion entre les mains des personnages, il est encombrant et se charge des sales manoeuvres. Selon Sartre, l'homme n'existe pas par la parole, mais par la somme de ses actes. Dire qu'il est révolté passe pour une vulgaire provocation d'ado dans la bouche d'Hugo. Tuer Hoederer, c'est affirmer son idéal. ( On sait qu'Hoderer a été tué dès le début de la pièce, je n'ai donc rien révélé ... ). Par ce geste, Hugo existe en tant qu'un homme qui défend une cause noble.

Une pièce forte qui interroge sur l'engagement de l'homme mais surtout sur l'identité. Notre condition sociale, notre sexe, notre éducation sont parfois des entraves à notre liberté d'action et Sartre souligne ce tiraillement qu'il a très bien connu étant donné sa jeunesse bourgeoise et les causes qu'il a défendues. Ne faisons pas d'Hugo un parangon de Sartre, Hoederer représente plus justement les idées du philosophe.

Il n'y a pas de demi-mesure : on aime ou n'aime pas Sartre au théâtre !

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 19 octobre 2011


Se salir les mains? 8 étoiles

Très belle pièce de théâtre (d'habitude je ne suis pas fan du théâtre écrit) qui nous fait réfléchir sur l'engagement politique : faut-il se "salir les mains" ( ou faire des choses qui ne sont pas forcément très belles ) pour faire passer notre message, nos convictions, nos idéaux?

OC- - - 27 ans - 18 mars 2011


1ère lecture de Sartre 8 étoiles

Pour commencer, j'ai trouvé le style agréable, les dialogues bien menés et réfléchis, l'imbrication de la politique et de la morale intéressante. Car que nous dit l'auteur? Doit-on à tout prix être pragmatique face aux idéaux? Le courage, c'est d'aller à l'idéal en comprenant le réel disait Jaurès. Hoederer représente bien cette façon de voir la politique, peu importe de mentir, tromper, manipuler " il faut aimer les risques pour faire de la politique". Malheureusement, face à lui, Hugo,lui, n'est pas politicien mais une personne s'étant engagée dans la politique pour être enfin reconnue et se défaire de son étiquette de bourgeois anarcho-intellectuel. Les face a face entre ces deux protagonistes révèle les divergences profondes qui existent entre ces deux hommes. Hoederer parvient à convaincre Hugo grâce à la faiblesse de ce dernier de la stupidité de son acte; Hoederer maitrise son verbe et argumente sur des faits réel, tandis que Hugo lui, vit dans l'idéal, dans une certaine utopie socialiste"on ne devient pas assassin". Hugo refuse de tuer, d'obéir aux ordres car il n'arrive pas à se convaincre qu'il est un tueur, de plus, personne ne croit vraiment en lui et ne lui fait confiance. Il tire finalement un peu comme dans "l'étranger", sans trop savoir pourquoi, comment il tue. Après retour au bercail suite à 2ans de prison et espérant retrouver confort et soutien, on lui apprend que les idées pour lesquelles il croit avoir tué Hoederer ont été englouties par la "real-politique", il a commis un meurtre pour des assassins et non pour des "idées" qu'il croyait défendre. La scène de fin est surprenante, car enfin Hugo devient Homme "passage de l'enfance à l'âge adulte" lui disait Hoederer, et prend une décision, de son plein gré.
Il faut lire ce roman avec celui de Camus "les justes", car on voit ici une même histoire, un même problème raconté par deux auteurs profondément similaires et éloignés.
La fin justifie les moyens, un parti n'est qu'un moyen, quand la fin est bonne, tous les moyens sont bons

Adrien34 - - 34 ans - 3 février 2010


Très surprenant 10 étoiles

J'ai commencé à lire cette pièce hier soir. J'ai trouvé le début très lent et j'éprouvais beaucoup de difficulté à me plonger dans le récit (je suppose que c'est en partie dû à la forte impression que m'avait laissé "huis clos" lors de sa lecture).

Ensuite, tout s'accélère, le suspense devient prenant car on en finit par se demander comment Hugo a pu tuer Hoederer et pourquoi?

Lorsqu'on a enfin la réponse à cette question, un dernier rebondissement survient et on ne peut que se plonger dans le livre pour en connaitre la fin.

Je pense que ce livre est profond, riche en idées (idéalisme, jalousie, hypocrisie, courage, ...) et très surprenant (en raison du début assez long).

J'ajouterai simplement que je ne pense pas que cette "implication" politique soit désuète, il reste, encore aujourd'hui des jeunes se sentant concernés et trop souvent en désaccord avec le pouvoir établi, qui, je pense, pourraient se sentir particulièrement concernés par cette oeuvre.

NimReplica - Jumet - 44 ans - 1 mars 2005


Hugo et Kaliayev, prenons les paris 8 étoiles

Encore bravo à Jules pour cette critique enrichissante. Seulement il y a toujours une question qui me reste. Un professeur de philo dans mon lycée soutient que les thèses de Sartre et de Camus sont totalement opposées, et que les "héros" Kaliayev et Hugo sont différents mais personnellement je trouve qu'ils ont les mêmes idées et que Kaliayev et Hugo ne seraient pas ennemis: un anarchiste bourgeois et un poète révolté ne peuvent que s'entendre!
Toutefois, je conseille de lire la pièce plutôt que d'aller la voir, la lecture est très rapide, plus pasionnante et les messages de Sartre sont plus apparents.
Valentine - Lille - 16 ans - 25 décembre 2004

Valentine - - 35 ans - 25 décembre 2004


Réflexions 10 étoiles

Bravo Jules pour cet critique très détaillée.

Je ne rajouterai pour cette pièce de théâtre qu'un : "lu et approuvé". Et pourtant je ne suis pas un grand amateur de théâtre en livre.
C'est un condensé de la pensée de Sartre et de ses questionnements.

Lecture très riche.

Drclic - Paris - 48 ans - 15 octobre 2004


le terrorisme en question (1) 9 étoiles

1er tableau : Hugo revient chez Olga, sa mission accomplie : il a descendu Hoederer, "déviationniste" à la cause démocratique. Pourtant ce retour n'est pas triomphal et ses anciens camarades veulent même exécuter le terroriste.
Cinq tableaux restituent l'historique de la mission de Hugo, avec ses hésitations à passer à l'acte. Le dernier tableau continue le premier : La pièce est en boucle, figure du cercle où l'homme serviteur d'un Idéal et disciple aveugle du Parti se retrouve prisonnier de la politique et de ses revirements.
Hugo est le protagoniste principal. Personne ne met sa confiance en lui, mais il veut passer à l'action pour faire oublier ses origines bourgeoises et servir la Révolution. Il devient donc secrétaire d'Hoederer, condamné pour vouloir pactiser avec l'ennemi de classe. On verra Hugo en lutte constante avec lui-même, incapable d'inventer sa liberté et prisonnier de sa mauvaise foi.
En revanche, Hoederer a de la stature. Il sait en bon stratège justifier ses positions et il ne manque pas de sens politique. Comme chacun, il a ses faiblesses, mais il sait les gérer. A ses yeux, le but à atteindre excuse tout, il pratique la Real politik au service de bonnes intentions. Pour être efficace, il n'hésite pas à se "salir les mains".

Hugo et Hoederer, dans la tragédie de l'Histoire ("avec sa grande H", air connu) seront à des degrés et pour des raisons diverses, les victimes désignées.
Les dialogues sont percutants, et si les deux hommes occupent le premier plan, Olga et Jessica incarnent des femmes bien vivantes. Au-delà des paradoxes idéologiques, Sartre présente au spectateur des personnages qui interrogent le monde actuel, plus encore aujourd'hui qu'en 1948 (date de la parution).

Rotko - Avrillé - 50 ans - 14 septembre 2003


La fin et les moyens 7 étoiles

Bravo à Jules pour cette lecture très détaillée. Il est vrai que ce théâtre au service d'une idée est historiquement daté. Mais les jeunes peuvent encore être sensibles à cette pièce, peut-être pour ses côtés "cinématographiques", ainsi que pour la trame sentimentale qui se greffe à l'action politique. Jules évoque la querelle Sartre/Camus. Cette pièce occupe une place non négligeable dans cet épisode de l'histoire intellectuelle des années 50 : elle constitue une réponse directe aux "Justes" à propos du vieux problème de la Fin et des Moyens. Alors que le Kaliayev de Camus veut garder "les mains propres", qu'il est en quelque sorte un "meurtrier délicat" (l'expression est de Camus, dans "L'homme révolté"), le Hoederer de Sartre fait l'apologie du pragmatisme. Rappelons que Sartre, une vingtaine d'années plus tard, rendra visite dans sa cellule à Andreas Baader, le chef de la "Fraction Armée Rouge", dont il ne condamnera jamais les méthodes terroristes. Quant au Camus des "Justes", Sartre le désignera par l'expression "belle âme". La rupture sera consommée. L'histoire a-t-elle donné raison à Sartre ou à Camus? Chacun peut répondre en conscience...

Lucien - - 69 ans - 18 mars 2002