La lettre de Chattanika et autres nouvelles
de Christiane Rolland Hasler

critiqué par Gilpro, le 18 décembre 2010
( - 78 ans)


La note:  étoiles
Une sourde inquiétude
Au bord d’un fleuve en crue qui l’empêche de rejoindre la gare, Princesse, en compagnie du SDF Babar, attend le retour de Kevin, son compagnon, devenu soldat de la paix il ne sait trop pourquoi et retenu en otage elle ne sait trop par qui ; s’en ira-t-elle au long du fleuve, le chercher elle ne sait trop où ? Une femme au crépuscule de sa jeunesse part à la recherche de son neveu en fugue ; parvenue à Chattanika, dans une lettre qu’elle n’enverra pas à sa sœur, elle découvre qu’elle-même, en fuite et en quête à la fois, ne reviendra plus dans cette quincaillerie familiale mortifère où nul n’est celui qu’il est censé être. Élise, photographe professionnelle, vient habiter avec ses deux filles la Maison Douce et son luxuriant jardin, où elle voudrait se remettre d’un récent traumatisme professionnel ; mais quand elle se met à photographier le village à l’écart de tout, elle déclenche d’angoissants phénomènes…
Trois femmes seules, dont les êtres qu’elles portent ou côtoient ne sont que des ombres, compagnon dans un indéfini lointain, clochard dans son monde et qui disparaît à son tour, neveu qu’on ne retrouvera pas et qui est autre chose qu’un neveu, beau-frère disparu et qui fut autre chose qu’un beau-frère, filles qui échappent comme glissent entre les doigts les habitants d’un village… « Mon écriture, déclare l’auteur dans une autoprésentation, ne relève pas du fantastique » ; et pourtant, les tenants du réalisme fantastique ne renieraient pas ces récits, non plus qu’ils ne renieraient les lieux étranges où ils se déroulent, d’un romantisme détourné pour alimenter l’angoisse du réel, ville coupée en deux par l’inondation, église partiellement immergée, bled perdu et où l’on vient se perdre dans le Grand Nord, maison envahie par la végétation, village où les habitants n’impressionnent pas la pellicule. Ces lieux, autant que les humains, sont les personnages de ces trois longues nouvelles. Lieux improbables, départ, étape ou aboutissement de fuites qui ne peuvent aboutir, d’autant que, peut-être, elles n’existent que dans le rêve de ces femmes.
Ces trois longues nouvelles, quasi de brefs romans si tout n’y était suggéré plutôt que narré ou décrit, distillent une sourde inquiétude, qui force le lecteur à envisager d’un regard autre toutes les formes d’évidence.