Je n'ai pas de bouche et il faut que je crie
de Harlan Ellison

critiqué par Nance, le 4 décembre 2010
( - - ans)


La note:  étoiles
Cauchemardesque à la puissance 10
I Have No Mouth, and I Must Scream (1967) est une des dix nouvelles les plus rééditées de la langue anglaise, mais quasi-introuvable en français. On ne peut trouver la traduction que dans l’anthologie de science-fiction Histoires mécaniques (1985) et la revue Galaxie #45 (1968). C’est une nouvelle qui semble susciter la curiosité, on m’en parle régulièrement, alors je me demande pourquoi on ne la réédite pas dans un recueil moins obscur, plus accessible... et pourquoi pas en passant d’essayer de faire une meilleure traduction, car il faut avouer que j’ai des doutes quant à la fidélité de la traduction de Michel Deutsch, je vais en parler plus loin.

Nouvelle post-apocalypse, après la troisième guerre mondiale, un autre genre de guerre survient, plus complexe, avec des machines. Les humains construisent des ordinateurs de plus en plus puissants, plus intelligents. Un jour, un ordinateur s’éveille et se venge de sa condition. Il tuera toute l’humanité et rendra virtuellement immortels cinq humains pour déverser toute sa haine en les torturant ad vitam aeternam, pour toujours, à tout jamais...

Ça m’a fait penser aux châtiments éternels de l’Enfer, à Prométhée qui se fait manger par un aigle son foie qui se renouvelle continuellement, Tantale qui ne peut ni boire ni manger et toujours suivi d’une angoisse mortelle, Sisyphe qui est condamné à rouler un rocher jusqu’au sommet d’une colline indéfiniment. On joue beaucoup avec le genre, dans la nouvelle c’est également un châtiment. La faute ne revient pas entièrement à l’ordinateur, mais de la bêtise des hommes aussi, car c’est les humains qui ont créé ces ordinateurs superpuissants pour s’entre-tuer. On vit vraiment l’horreur ressentie des personnages. Je dois dire aussi qu’il y a quelques passages crus et dégueulasses.

Des lectures plus approfondies permettent de découvrir d’autres angles à l’histoire et faire des interprétations alternatives des personnages. Par curiosité, j’ai voulu savoir ce que les lecteurs en pensent sur Internet, connaître leurs théories les plus folles et c’est là que je me suis rendue compte que la traduction française devait avoir quelques failles. En regardant les interprétations sur les sites, j’ai remarqué qu’il y avait des blancs dans la version française et qu’il y a des expressions qui n’ont pas été traduites à sa juste valeur. Par exemple, je ne me rappelle pas où on dit qu’un personnage serait homosexuel et il y a aussi un jeu de mots pas traduit plutôt important dans le récit. Dans la version originale, l’ordinateur s’appelle AM (MA en français) et AM en anglais veut aussi dire le verbe être « je suis », alors quand il dit que son nom maintenant est cogito ergo sum (je suis, comme dans je pense donc je suis), ça n’a pas de sens en français. « Au début, cela voulait dire Multiordinateur Allié. Puis c’est devenue Manipulateur Adaptif. Plus tard, quand la machine est née à la conscience et a commencé à coordonner ses éléments, on l’appelée Menace Agressive. Mais déjà c’était trop tard, et elle s’est intitulée de son propre chef M.A. en accédant à l’intelligence, et ce nom signifiant alors... cogito ergo sum. » C’est beau, mais la fin n’a pas vraiment de signification si on ne connaît pas l’anglais ! Je pense, donc je suis, c’est le moment où l’ordinateur prend conscience de sa force, c’est un moment important et le texte français ne rend pas ça aussi puissant. Enfin, la nouvelle reste quand même lisible en français et à défaut d’avoir mieux... Le mieux, j’imagine que c’est l’original, mais ça reste le choix du lecteur.

C’est une nouvelle pour les amateurs de science-fiction et des machines intelligentes qui débloquent. Un classique pour ce thème au même titre que HAL 9000 dans 2001 : l’odyssée de l’espace. HAL, paranoïaque et meurtrier, devient tout d’un coup sympathique en comparaison avec AM.