Nora
de Robert Alexis

critiqué par Camarata, le 2 décembre 2010
( - 73 ans)


La note:  étoiles
Paroxysmes cruels
Un riche héritier indolent et amorphe, combat sa mélancolie en racontant à son amie Nora, des contes qui viennent à sa conscience de manière quasi chamanique. Plusieurs histoires se déploient, qui ont trait à des expériences sexuelles démesurées. Beaucoup de ces récits ont une trame commune, le héros, un personnage anodin, banal, dont l’existence est terriblement fade, franchit une limite et bascule dans un univers qu’il ne soupçonnait pas, celui de la sexualité hors limite, du sadisme, du masochisme, de la prostitution, de la perversion tout azimuts. Il revendique sa soumission à des êtres pervers, malfaisants et cruels, et interprète sa déchéance consentie comme l’expression d’une liberté suprême.
Certains récits vont tellement loin dans la monstruosité, notamment la nouvelle qui mène une sexualité débridée à l’anthropophagie, qu’on rejoint le fantastique. Le sexe semble indissociable de la destruction, de l’avilissement, de la mort.
Le style de l’auteur est classique, riche, parfaitement maîtrisé, il s’adapte aux époques, légèrement suranné pour les récits des siècles passés, et plus contemporain pour celui qui se déroule à notre époque.

La qualité de son écriture et sa puissance d’évocation rendent ces histoires d’autant plus éprouvantes à lire, on a envie de fermer le livre, de se protéger de toute cette horreur, cette monstruosité, pourquoi le lire alors ?

Parce que c’est un écrivain de talent, et parce que cette face noire de l’homme, fantasme ou réalité, n’est pas obsolète, elle tire ses racines de bien loin, des siècles antérieurs, des cultures, des éducations et des religions, peut être de l’homme lui même.

La religion tient une grande place en créant une tension puissante entre le bien et le mal, le défendu et le permis, le pur et l’impur, l’innocence et la perversion, tout se cristallise dans cette opposition, cette transgression qui peut paraître presque ringarde à notre époque de grande permissivité, mais pourtant.

« Giacomo hocha la tête ; Pourquoi n’avait-il pas compris plus tôt ? C’était si simple cette vie levée comme une pâte, ces êtres de blé et d’ivraie, de cendres et d’étincelles, de sève, de bois, de cristal, d’eau et de sable, ces êtres craquants sous les doigts ou bien mous et visqueux, mais tous semblablement unis dans un récit qui confondait les mots, qui ne disaient rien d’autre que ce que les sens sèment en graine vivace. »

« Il n’y a plus de guerre, parce que il n’y a plus de vie, déclara-t-il ; »
« -Que veux tu dire ? »
« -L’homme vivant s’invente des ennemis. Pourquoi crois tu qu’il y ait des Nez percés et des sioux ? Et toi-même, ne pense tu pas qu’il y ait une foule d’êtres en toi contre lesquels tu doives te battre ? Regarde le désert où ils vivent. Il n’y a plus de bisons, il n’y a plus d’adversaire, il n’y a plus rien qui puisse briser le puissant silence de l’unité. La réserve est une prison parce qu’elle nous empêche d’aller vers l’autre et de le tuer. »

En lisant ce livre, on ne ressent pas vraiment, comme l’affirme l’auteur, que : « le sexe soit toujours une chance », plutôt une malédiction.