Lettres de prison, précédées de Pour Gabrielle
de Raymond Jean, Gabrielle Russier

critiqué par Shelton, le 23 novembre 2010
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Touchant et fort !
Une jeune femme de 32 ans, divorcée, mère de deux enfants, enseignante de français en lycée, tombe amoureuse d’un de ses jeunes lycéens, 17 ans. L’affaire fait grand bruit, à la fin des années soixante. L’idylle serait née sur les barricades de 68, la société en place ne supporte pas l’idée d’être remise en cause, le pouvoir est exacerbé, la justice difficile à rendre… Après un jugement honnête, verdict d’un an avec sursis et 500 Frs d’amende pour détournement de mineur, le parquet fait appel pour que la peine ne soit pas amnistiable par le président de la République nouvellement élu. La jeune enseignante ne supporte pas cette nouvelle épreuve judiciaire et quelques semaines plus tard, elle se suicide tandis que le jeune homme est interné dans un hôpital psychiatrique…

Dans son livre, Les écrous de la haine, Michel Del Castillo étudie longuement l’affaire Gabrielle Russier. Je ne vais pas revenir sur le fond de l’affaire, encore moins élaborer une critique de son ouvrage (voir à ce sujet http://www.altersexualite.com/spip.php?article316 ) mais j’ai envie de vous donner envie de lire ce petit ouvrage que j’ai eu, par hasard, entre les mains il y a quelques jours, Lettres de prison.

Je ne connaissais pas cette affaire, je n’ai jamais vu le film Mourir d’aimer qu’elle avait inspiré et je me suis retrouvé avec dans les mains ce petit opuscule Lettres de prison. Il est précédé de Pour Gabrielle, un très beau texte de Raymond Jean, écrivain que beaucoup connaissent et c’est ce texte qui m’a touché et dont je voudrais vous parler.

Raymond Jean a vu pour la première fois Gabrielle Russier en 1962, lors d’un cours qu’il donnait sur Paul Eluard à l’Université de lettres d’Aix. Oui, Gabrielle a été son étudiante. Tout au long de ce très beau texte, il s’abstient de prendre parti sur l’aspect moral. Certes, il reconnaît que c’est pour le moins une grosse imprudence, une prise de risque, que de tomber amoureux de son étudiant, de son lycéen et de ne pas réussir à faire cesser cet état de fait. Mais, il est bien conscient que quand l’amour sonne, rien n’est possible. Ni la distance, les discours moraux ou les règles de bienséance ne peuvent empêcher deux amoureux de s’aimer !

Il mesure bien, aussi, que face à cet amour, on voit se lever une société blessée par Mai 68, une bourgeoisie renfermée sur ses principes, une administration ridicule qui ne comprend rien. On voit aussi que personne n’hésite à faire subir à Gabrielle la triple sanction : faire cesser son amour de force, la condamner pénalement et la sanctionner administrativement ! Fallait-il en arriver là, alors que la justice avait prononcé une première sanction, bien réelle même si l’amnistie présidentielle allait la laver définitivement ? Fallait-il faire comme si elle avait voulu séparer un jeune encore mineur, mais âgé quand même de 17 ans, de ses parents qui, au départ au moins, ne voyaient rien de mal à cette relation ? Fallait-il laisser ce fait divers devenir une tragédie avec un suicide et un internement ? Fallait-il, pour autant, ne rien faire, ne rien dire ?

Toutes ces questions hantent réellement le professeur Raymond Jean… et le lecteur se demande ce qui arriverait aujourd’hui avec une affaire du même genre…

Le recueil de lettres qui suit le texte de Raymond Jean prouve que Gabrielle n’avait pas compris ce qui lui arrivait, qu’elle ne comprenait pas ce que lui reprochait la société, qu’elle n’a fait aucun effort pour convaincre la justice de l’épargner un peu. Femme entière et absolue, à la recherche d’une société parfaite qui n’existait pas et habitée par l’envie de changer le monde, elle a perdu la vie très jeune, trop jeune, et elle est, maintenant, oubliée de tous…

Livre touchant sur la passion humaine et ses dangers, à lire et méditer !