Sur la paupière de mon père
de Sjón

critiqué par Débézed, le 8 novembre 2010
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Saga islandaise
Difficile de comprendre le cheminement de l’auteur si on ne conçoit pas qu’il a voulu écrire une saga islandaise des temps modernes à l’image de celles qui ont servi de fondation à cette nation du bout du monde. Sinon, comment comprendre ce récit tentaculaire qui narre les tribulations d’un juif rescapé des camps de la mort, devenu pur Islandais après bien des difficultés qui ne sont en fait que des épreuves initiatiques vers la pureté de l’être islandais, et qui fait naître un enfant d’une statuette de terre qu’il a amenée avec lui depuis le lointain continent européen.

Cette saga des temps moderne contient tous les ingrédients qui constituent les légendes séculaires : ses géants, ses dieux ou ce qui en tient lieu, ses miracles et tout ce qui peuple habituellement les récits mythologiques. On rencontrera ainsi : Toubal et les géants qui ont peuplé le pays, les hommes-zèbres qui ressemblent étrangement aux détenus des camps de la mort, un homoncule qui prend vie, une chasse à l’homme qui n’est peut-être qu’une quête du Graal qui permet de perpétuer la vie, etc...

Ce livre en fait, je l’ai lu comme une allégorie au peuple islandais qui cherche à affirmer dans ses légendes ses propres origines indépendantes des migrations scandinaves et qui voudrait se protéger des ingérences exogènes néfastes à l’image de l’américanisation galopante de la société. «La déferlante de la culture américaine de bas étage s’abat sur le pays, digne descendante de l’armée d’occupation basée à la station atomique de Keflavik ». C’est La naissance d’une fière nation racontée comme une épopée mythologique, comme une saga islandaise, avec tous les risques que cela comporte notamment un nationalisme latent et même parfois très actif qui confine au nazisme. Mais, c’est aussi un regard lucide sur cette Islande des confins du monde habité qui a besoin de dépasser les contours de l’île, d’un espace d’évasion, d’un ailleurs pour voir plus loin, qui voudrait habiter un monde plus grand. Et, qui a besoin d’accepter les autres mais sans polluer sa culture ni altérer ses racines.

« … quand nos yeux croisent les leurs, c’est dans le regard de l’Islande millénaire que nous plongeons. Et nous nous demandons s’ils sont satisfaits de ce qu’ils voient… »