Un océan de pavots
de Amitav Ghosh

critiqué par Tanneguy, le 11 octobre 2010
(Paris - 85 ans)


La note:  étoiles
Un Monte-Christo à la sauce curry...
La dernière "livraison" d'Amitav Ghosh tranche sur ses précédentes réalisations, et ce n'est pas déplaisant. Il s'agit ici d'un récit d'aventures avec de multiples péripéties et rebondissements improbables. Cela se déroule en Inde naturellement, entre Bénarès et Calcutta sur le Gange, mais aussi en haute mer sur l'Océan Indien au début du XIXème siècle.

Conformément à son habitude l'auteur en profite pour évoquer certains des grands chapitres de l'histoire de l'Inde, ici la guerre de l'opium entre les Anglais de l'Inde et l'empire de Chine et les migrations forcées des Indiens misérables vers l'île Maurice récemment cédée par la France à l'Angleterre : après l'abolition de l'esclavage imposée par les Anglais, il fallait bien que la nouvelle puissance coloniale fournisse de la main d'oeuvre aux exploitants agricoles pour soutenir l'économie de l'ex-Ile de France.

Le roman débute par l'arrivée en Inde d'une fière frégate construite aux Etats-Unis pour la traite des esclaves d'Afrique, que son nouveau propriétaire, une riche maison de commerce anglaise établie à Calcutta, souhaite affecter désormais au commerce lucratif de l'opium avec Canton. Comme le torchon brûle avec les Chinois, la frégate fera un transport de main d'oeuvre vers Maurice en attendant des jours meilleurs.

Un nombre incroyable de personnages, tous très attachants, avec des histoires personnelles inattendues se croisent et se recroisent dans le récit, laissant le lecteur haletant. Parfois peu vraisemblable, parfois un peu embrouillé, le roman nous éclaire pourtant sur la vie en Inde à cette époque, et l'on a parfois envie de s'y retrouver malgré les épreuves innombrables subies par les héros.

Le roman s'achève sur l'océan, avant l'arrivée de la frégate à Maurice. On aimerait connaître la suite, mais l'éditeur annonce déjà un deuxième et un troisième épisode de cette épopée. J'attends avec impatience !
le colonialisme en Inde 10 étoiles

L’Inde vers 1838. Les Anglais exercent leur domination avec une rigueur exemplaire, le croient-ils du moins. En tout cas, le racisme colonial fonctionne dans toute sa splendeur, et les coloniaux ne sont venus là que pour s’enrichir. Pas tous cependant : ainsi le conservateur du jardin botanique de Ghazipour et savant botaniste, un Français, Lambert, qui ne vit que pour les plantes et pour ses découvertes, et qui, ému de la misère environnante, s’endette auprès des prêteurs sur gages. Il meurt prématurément, ruiné, et sa fille Paulette, âgée de dix-sept ans, élevée par une Indienne avec son frère de lait Jodu, se voit confiée à une famille anglaise, les Burnham. M. Burnham, sous couvert de charité évangélique, la prend sous son aile. C’est en fait un féroce commerçant qui s’est enrichi par le commerce de l’opium avec la Chine. Il a peu à peu étendu son empire, obligé les Indiens de la région à abandonner toute autre culture, les mettant à sa merci, y compris le raja local, Neel, fortement endetté et qui va être condamné au bagne par la justice anglaise. Et Paulette rêve de l’île Maurice, dont était originaire sa mère morte à sa naissance.
La jeune paysanne, Deeti, cultive donc le pavot pendant que son mari, ancien supplétif de l’armée anglaise, revenu en très mauvais état des guerres coloniales et souffrant beaucoup, travaille à la factorerie d’opium, tout en étant complètement accroc à l'opium. Quand il meurt, laissant une fille, Deeti choisit, pour ne pas tomber entre les mains de son beau-frère concupiscent, de partager le sort de son mari sur le bûcher funéraire, après avoir confié sa fille à sa propre famille. Elle est sauvée du bûcher par Kuala, un paria, et ils doivent s’enfuir ensemble. Ils rejoignent le convoi de "coolies" qui doit embarquer vers l’île Maurice sur l’Ibis, un ancien navire négrier, affrété par Burnham, qui continue le commerce des êtres humains depuis l’abolition de l’esclavage, masqué sous l’appellation de migration, en attendant de se lancer dans le commerce de l’opium.
Sur ce navire est embarqué Zachary Reid, Américain fils d’une esclave quarteronne et de son propriétaire, il a pu s’y embarquer comme charpentier : il est blanc de peau et personne ne soupçonne sa "négritude". Le capitaine étant mort, le lieutenant impitoyable et pervers ayant été jeté à la mer par les lascars, jeunes Indiens et autres Asiatiques réunis par le goût du risque et excellents marins, il a dû prendre le commandement jusqu’à Calcutta, bien secondé par le chef des lascars, Sereng Ali.
Tous se retrouvent sur l’Ibis sous un nom d’emprunt, Jodu qui a toujours rêvé d’un gros bateau et qui va se retrouver moussaillon, Paulette, qui a réussi à s’enfuir de chez les Burnham pour échapper à un mariage répugnant, Deeti et Kuala. Mais ils y trouvent aussi Neel, condamné au bagne à Maurice avec Ah Fatt, un métis cantonais, et de nombreux autres personnages, en quête d’une nouvelle vie. Hélas, les soldats et gardiens qui encadrent les deux forçats, le nouveau second, tout aussi pervers que le précédent lieutenant, font que le voyage va se transformer en une sorte d’équipée sauvage, les coolies n’étant au fond rien de mieux que les anciens esclaves à fond de cale des anciens navires négriers.
Une fois à bord, les personnages se croisent. La mer flamboyante, le roulis, les vents furieux font naître des émotions d’autant plus violentes que les exactions des maîtres du bord, le capitaine, le second, le chef des soldats et le quartier-maître, font régner un ordre qui n’a rien à envier à celui du Bounty. Le navire est lui-même un personnage. Certains, les plus faibles, meurent en cours de route. Les autres subissent une sorte de changement spirituel. Les religions se mêlent, les classes sociales et castes aussi. On a un tableau assez complet de la colonisation anglaise et de ses méfaits.
Rappelons qu'en Guadeloupe, après l’abolition de l’esclavage en 1848, furent enrôlés de force des Indiens de Pondichéry pour remplacer les esclaves à faible prix (un nombre important moururent sous les mauvais traitements). Cet excellent roman historique (aussi bon et haletant qu’un bon Dumas) très utile pour comprendre les phénomènes coloniaux. L’Angleterre interdit la traite en 1807 et l’esclavage en 1833…
Mais jetons un coup d’œil autour de nous : nos modernes migrants venus à travers la Méditerranée, et aussi ceux qui viennent d’Europe de l’est, les Haïtiens en Guadeloupe, sont à peine mieux lotis. Le capitalisme n’a pas changé depuis les débuts du XIXème siècle, il a toujours besoin d’une main-d’œuvre corvéable à merci, et peu coûteuse. Notre mode de vie repose là-dessus.
Excellent.

Cyclo - Bordeaux - 78 ans - 23 septembre 2020


Une multitude de destins 7 étoiles

Ecrivain anglophone, diplômé en anthropologie sociale, expatrié aux Etats-Unis, auteur de cinq romans et d'autant d'essais, Amitav Ghosh nous livre ici le premier tome d'une trilogie ayant pour cadre initial le territoire administré (jusqu'en 1858) par la British East India Company (BEIC).

Au début du XIXe siècle, tandis que peu à peu se mettent en place les divers éléments économiques, politiques et commerciaux qui concourront au déclenchement de la première guerre de l'opium, c'est sous le contrôle de la BEIC et sur un véritable océan de pavots que repose l'existence d'une flopée d'individus dont le moyen de subsistance dérive de près ou de loin de la culture de cette plante et/ou de l'exploitation de ses dérivés.

C'est dans ce contexte que commence 'Un océan de pavots'. Puis, entre l'apparition de l'Ibis sur les eaux du fleuve Hooghly jusqu'à son départ de Calcutta (Kolkata) quelques mois plus tard, le récit s'enroule ostensiblement autour de ses nombreux acteurs. Peu à peu, nous faisons donc connaissance avec une galerie de personnages dont les origines sont aussi variées que leurs histoires personnelles. Entre les intrigues et les drames animant les existences de ces hommes et de ces femmes, nous observons leurs parcours qui graduellement convergent vers l'Ibis, un navire au passé sombre dont la mission consistera à emporter ses passagers loin de leur passé, de leurs racines, voire leur identité, pour les mener, par delà l'océan, vers un avenir incertain.

Solidement documenté, copieusement garni de descriptions détaillées, sans oublier l'extraordinaire richesse linguistique dont il fait étalage, ce roman qui transpose dans un cadre fictif 'un moment' découpé à même l'histoire de l'humanité, nous offre un panorama sans pareil, un voyage d'un réalisme éblouissant dans un univers qui ne peut que susciter la fascination.

Accrochés aux basques d'une narration enjôleuse, éblouis par l'univers qui nous est décrit, on se laisse entraîner dans le sillage de ces nombreux personnages et on tourne les pages tout en anticipant la suite. Mais en l'absence d'intrigue ou de fil conducteur, force nous est de réaliser que même si ce récit fourmille de vie, ça n'ira vraisemblablement nulle part.

En effet, il semble que diluée dans un ambitieux projet anthropologique, la forme propre au roman (en tant que genre littéraire) ait ici perdu son droit de cité. Si bien que structurellement déficient et souffrant de l'absence de direction, une fois tous ses fils déroulés, 'Un océan de pavots' finit par abandonner le lecteur désemparé au milieu des flots.

N.B. Lu en version originale de langue anglaise.

SpaceCadet - Ici ou Là - - ans - 14 mai 2016


Un seul défaut… 9 étoiles

…la fin ou plutôt la non-fin. On abandonne tous les personnages en plein milieu de l’océan.

Rien à ajouter à l’excellente critique de Tanneguy pour la description de l’histoire, en dire plus gâcherait le plaisir de lecture.
Un conseil toutefois : le lire rapidement pour ne pas oublier qui est qui, chaque chapitre ou presque introduisant un/de nouveau(x) personnage(s) au début du roman.

La parution du tome suivant est annoncée pour mars 2013, mais me souviendrai-je encore de tous les personnages quand je le lirai ?

Ludmilla - Chaville - 69 ans - 5 février 2013