Un jour de colère
de Arturo Pérez-Reverte

critiqué par Falgo, le 8 octobre 2010
(Lentilly - 85 ans)


La note:  étoiles
Un roman-chronique historique
Ce jour est le 2 mai 1808, quand le peuple de Madrid se révolta contre les armées Napoléoniennes commandées par Murat. L'Espagne connaissait alors une grave crise politique et morale qui avait en quelque sorte laissé le champ libre aux ambitions de Napoléon. Une partie de l'élite espagnole - libérale - était tentée d'adhérer à la modernité représentée par les Français, refusant la déliquescence de la monarchie. Mais, se conduisant comme une brutale armée d'occupation, ceux-ci avaient vite déclenché une hostilité plus ou moins active des Espagnols et réveillé un sentiment national. D'où cette révolte, pour l'essentiel, du petit peuple madrilène.
Perez-Reverte, dans son style habituel sobre et efficace, restitue de manière très réaliste la violence des affrontements et celle de la répression par les armées françaises. Il souligne le rôle du petit peuple en nommant d'innombrables acteurs dont il suit le parcours pendant cette journée terrible. Il décrit l'ambiguïté des autorités espagnoles, regrettant autant la violence du peuple que celle des Français et s'abstenant de prendre parti. Il s'attarde justement sur la rébellion de deux capitaines, Daoiz et Valverde, qui refusent de laisser massacrer le peuple par des étrangers et, contre les ordres de leur hiérarchie, se joignent au soulèvement.
Le récit est haletant, porté par de très nombreux acteurs; les positions des divers responsables plutôt bien décrites. Pour qui s'intéresse à ce moment important de l'histoire espagnole, ce livre est plein d'enseignements.
Perez-Reverte avait déjà montré son intérêt pour cette période avec son premier livre, "Le hussard", chronique douloureuse des armées françaises en campagne et en déroute devant la révolte populaire, dont le 2 mai est le fait déclencheur.
Un très bon livre.
Perez-Reverte reçoit un accueil plutôt mitigé sur ce site et je m'en étonne. Journaliste de formation, il construit ses récits comme de longues enquêtes, impeccablement documentées sur le thème, la période et les situations qu'il décrit. S'il ne s'attarde pas beaucoup sur les ressorts psychologiques de ses personnages, il trace avec un talent certain des intrigues originales et expose très intelligemment les conditions de leur déroulement.
Quand les élites trahissent, le peuple se bat 6 étoiles

C'est œuvre de piété qu'a voulu réaliser Arturo Pérez-Reverte dans cette évocation du soulèvement du Dos de Mayo. Piété envers le petit peuple madrilène qui est le véritable héros de ce récit, et qui, alors que, face à l'occupation française, les élites espagnoles, dans leur très grande majorité, restaient les bras croisés, décide, lui, dans un mouvement d'humeur de combattre les troupes impériales. Un devoir de mémoire qui explique pourquoi, Pérez-Reverte restitue des noms derrière mille actions de bravoure anonyme, et plus encore s'efforce de donner vie à ces révoltés afin que leur destin prenne de l'épaisseur.

Dans l'introduction, l'écrivain espagnol précise avec une grande honnêteté que son ouvrage n'est ni tout à fait une œuvre historique, ni un roman à part entière. Il est, en effet, davantage une sorte de mise en forme, grâce au talent du romancier, de mémoires et de documents d'archives, une relation minutieuse, heure par heure, des évènements vécus par les protagonistes de cette journée historique.

D'un point de vue historique, Un jour de colère restitue de manière fort intéressante cet engrenage tragique, qui d'un ressentiment contre les soldats français crée une émeute, d'une émeute une insurrection et d'une insurrection un massacre qui débouchera sur la guerre d'indépendance espagnole.

Le point de vue de Pérez-Reverte n'est jamais manichéen. Il aime le peuple madrilène qui se bat armé seulement de navajas, de gourdins, utilisant ce qui lui tombe sous la main, montre un courage flamboyant, mais ne cache rien de la cruauté des combattants. Les sentiments divers de la société espagnole sont bien rendus, notamment ceux des "progressistes" qui craignent davantage le peuple que les troupes napoléoniennes et se retrouvent au regard de l'Histoire dans le rôle classique des collaborateurs et des attentistes. L'attitude de l'église et des autorités est édifiante.

Pérez-Reverte s'est énormément documenté. Il a voulu rester fidèle aux détails comme aux protagonistes, mais c'est malheureusement là que se situe le point faible de son récit. Alors que celui-ci a tout pour être poignant, la dispersion entre mille destins, entre des centaines de combats dispersés fait que le lecteur a le plus grand mal à s'attacher à des êtres en particulier. Le refus des "ficelles" de la fiction en fait un récit d'Histoire vivante sans parvenir à emporter l'adhésion du lecteur. Si nous nous autorisons à comparer avec des livres traitant de la même époque, il nous faut admettre que Patrick Rambaud avec La Bataille et Il neigeait était mieux parvenu à captiver son lecteur dans ce tour de passe-passe délicat entre réalité et fiction.

C'est regrettable, car le projet d'Arturo Pérez-Reverte est fort sympathique dans son ambition.

Kostog - - 52 ans - 2 janvier 2019