Là-bas, sans bruit, tombe un pétale
de Ch'oe Yun

critiqué par Tournesol, le 1 mars 2002
(Paris - 38 ans)


La note:  étoiles
un autre monde...
Le livre est composé de trois courts récits, qui par moments tiennent plutôt du poème. Le premier décrit les retrouvailles d'un père et de son fils après des années de séparation et de mensonges. Le second raconte la déchéance d'une jeune fille qui sombre peu à peu dans la folie. Le troisième relate la rencontre d'une jeune fille et d'un imprimeur contestataire. Ces récits sont assez bouleversants, car l'horreur est exprimée avec tant de délicatesse et parfois de franchise brutale.... on assiste aux réflexions des personnages, à leurs raisonnements; on pénètre peu à peu dans leur monde curieux et intemporel,où règne la folie, qui est décrite avec beaucoup de finesse et de justesse. Après avoir lu ces textes, je suis restée assise en fixant le vide, je n'arrivais plus à penser, ou plutôt j'avais peur de penser, enfin c'était une sensation étrange mais pas vraiment déplaisante, ce qui est sûr c'est que je n'avais jamais ressenti cela auparavant...
Dur et poétique... 9 étoiles

Ch'oe Yun est l'un des écrivains les plus connus de la littérature sud-coréenne moderne. Née en 1953, sa reconnaissance commence avec la parution du récit intitulé "Là-bas, sans bruit, tombe un pétale", le second auquel fait référence la critique principale et le seul figurant dans mon édition.

Bien joli titre d'ailleurs, évocation délicate telle un trait d'esquisse, de la douleur muette d'une vie fragile, à peine éclose et déjà condamnée que l'impuissance humaine ne peut arracher à son triste sort...

Ce texte intense et douloureux porte en lui les stigmates du traumatisme subi par les Coréens, lors des évènements de Kwangju survenus en 1980, terrible répression des aspirations du peuple à la démocratie, bain de sang qui aurait fait plusieurs centaines de morts (on ne saura jamais exactement). Ces évènements devaient demeurer longtemps tabou là-bas et la parution de ce récit n'interviendra que postérieurement à la chute de la dictature quelques années plus tard.

Cette violence, ce choc, Ch'oe Yun en maximise d'autant plus l'impact qu'elle a choisi de l'exprimer au travers d'une transcription littéraire qui se focalise, non sur les évènements eux-mêmes (le nom de Kwangju n'est cité qu'une seule fois à la moitié du récit) mais sur les ravages engendrés chez l'une des victimes. Son récit est celui de la fuite et de l'errance, dans leur double acception physique et mentale, d'une toute jeune fille jamais nommée, presqu'une allégorie de la souffrance, confrontée à la mort de sa mère tuée par balles dans les manifestations. Né des circonstances auxquelles elle doit sa survie, son sentiment de culpabilité va l'entraîner dans un processus d'autodestruction jusqu'aux confins de la folie, dans une spirale implacable de la violence qui enchaîne à la violence du pouvoir celle qu'elle s'inflige à elle-même et la livre à celle des prédateurs qu'elle rencontrera sur son chemin.

L'écriture apparaît ici très travaillée, jouant sur la polyphonie. Trois voix se succèdent dans l'alternance des chapitres: celle de la subjectivité de la jeune fille par laquelle l'auteure tente de restituer, de façon assez remarquable, son monde intérieur, le décousu des images et des souvenirs qui la hantent, son ressenti dans sa déconnexion du réel et la désagrégation de son esprit; celle indirecte, marquée par le remords et le désespoir, de l'homme qui l'aura recueillie un temps puis perdue; celle enfin des amis de son frère (opposant assassiné) qui tenteront de la retrouver. Chaque voix apportera son éclairage sur la réalité.
J'ai personnellement un peu regretté que la troisième voix, objectivation d'une réalité crue, rompe l'envoutement et la poésie d'un texte qui doit souvent beaucoup à l'ellipse et à une restitution chaotique, décalée et parfois surréelle de ce parcours.
Une autre réserve vient de l'évolution du discours de la jeune fille vers une rationalisation improbable au vu de l'inéluctabilité de son destin suggérée par ailleurs. Note d'espoir ? Je ne sais pas.

Reste un très beau récit, à mon sens, qui joue sur le registre de l'émotion et vaut incontestablement par l'écriture.

P.S: A noter que la version française est une version plus remaniée, semble-t-il, de la version originale, que ne l'indique la note de l'éditeur, version issue d'un travail conjoint entre le traducteur et l'auteure, elle-même traductrice et professeur de littérature française. Du moins, c'est ce que suggère une lecture parallèle effectuée par SpaceCadet dans une traduction en anglais.

Myrco - village de l'Orne - 75 ans - 30 juillet 2015