Dis-moi qui tuer
de Vidiadhar Surajprasad Naipaul

critiqué par Tistou, le 3 septembre 2010
( - 68 ans)


La note:  étoiles
5 nouvelles.
Cinq nouvelles inégales en intérêt et en importance. D’abord deux courtes :
- « Le cirque à Louxor », plus impression de voyage d’un Naipaul marqué par le déracinement, ou plutôt le non-enracinement dans une culture, un pays. Ce pourrait être du Nicolas Bouvier. En quelque sorte une courte confrontation entre des mentalités européennes, asiatiques et africaines, égyptiennes plutôt. Un exposé efficace et pas didactique de ce que des cultures différentes peuvent induire en terme de comportements.
- « Le vagabond du Pirée », dans la même veine « Bouvier ». C’est l’histoire d’un original ( ?), marginal ( ?), en transit sur un ferry qui emmène une communauté, formée au hasard de ce genre de traversées, du Pirée à Alexandrie, en Egypte. Encore l’Egypte. Plus qu’une histoire en fait, c’est une analyse de comportements. Mais une analyse simplement factuelle, qui laisse au lecteur le soin de tirer ses propres conclusions au travers de son propre prisme de lecture. Encore une fois une lecture très plaisante, très actuelle.
Et puis trois nouvelles plus significatives, toujours en lien avec l’exil, l’émigration, la déculturation, l’acculturation, thèmes qui marquent très fortement l’œuvre de Naipaul :
- « Un parmi tant d’autres » est caractéristique. Santosh est un domestique vivant une vie de domestique indien à Bombay au service d’un personnage important. Il n’a pas une vie réellement enviable, cependant à l’aune du standard indien c’est un privilégié. Mais voilà que son patron est nommé à Washington. Santosh va connaître ce que connaissent tous ceux qui acceptent de sauter dans l’inconnu pour se projeter dans une culture inconnue. C’est très fin de la part de Naipaul, sans illusions.
- « Dis-moi qui tuer », nouvelle éponyme, est pour le coup encore davantage sans illusions, et même sans espoir. Allusive, toute en cruauté. Manifestement pour V.S. Naipaul, il n’y a pas réellement d’avenir dans le déracinement des individus, ce qu’on appelle l’émigration ou l’immigration, comme on voudra. Et V.S. Naipaul a une certaine expertise en la matière.
- « Dans un état libre », est celle qui m’aura le plus impressionné (amour de l’Afrique probablement !). Comme un brouillon de « A la courbe du fleuve », sauf que ce roman est paru une année avant ! Je n’exclus pas néanmoins qu’elle ait été écrite avant …
Communauté étrangère dans un pays africain nouvellement indépendant. Anxiogène, touffue, une merveilleuse nouvelle. V.S. Naipaul a l’art de faire saisir les choses sans être didactique, en n’omettant rien de la complexité des rapports humains – et là ils sont particulièrement complexes ! – Pour qui a vécu un peu à l’étranger il est troublant de constater comment V.S. Naipaul sait restituer ce fonds d’incertitude, d’angoisse, de non-prise sur les évènements qui peut vous saisir à l’occasion. Afrique, terre tragique. Naipaul, homme sans illusions superflues.
Ce recueil de nouvelles s’avère une très belle leçon de vie. Pas foncièrement optimiste. Lucide et clairvoyante.