La Chambre d'écho
de Régine Detambel

critiqué par Lucien, le 17 février 2002
( - 69 ans)


La note:  étoiles
L'angle rugueux du monde.
«Quand l'enfant tombe ou se cogne, chacune de ses rencontres blessantes avec l'angle rugueux du monde porte un nom. Et qui voudrait dresser une liste de l'ensemble de ces confrontations et de ces retrouvailles courrait le risque heureux de composer une litanie. Les termes liés d'un très long charme.
Le piètre malheur de l'égratignure, le petit trou en forme d'étoile qui constitue l'écorchure, la figure virtuose et mathématique de l'éraflure, la trajectoire accidentelle de la coupure, l'ampoule qui est une hutte de peau et le bouton de moustique érectile et délicieux, la fente vive de la gerçure, le bleu, la f1amboyance de la bosse, le chuintement de la morsure, la brûlure et sa paille de fer, la langue mordue, la seringue du vaccin contre le tétanos, l'aphte, l'écharde, le coup de soleil, le durillon et le bouton de fièvre sont le lot rude et perçant de toutes les enfances. Ils nous ont tous fondés, ont gravé, pour chacun d'entre nous, leur histoire dans notre peau, dans les muqueuses de nos lèvres, dans les étages superficiels et profonds de notre chair, et nous ont lentement façonnés puis passionnés jusqu'à la jouissance. Mais le jour où ces blessures-là ne font rien saigner d'apparent, alors cela s'appelle la vie, des coups durs dans un corps adulte, un pépin, et ce que vous ressentez, c'est un drame. Et personne ne sait jusqu’où cela peut aller.» Rien que cette page extraordinaire est un plaidoyer pour ce roman de Régine Detambel. Alors, qu'ajouter? Quelques mots, pourtant... Le pépin, le coup dur de la vie, c’est Ferenc. C’est ce cancer à l’estomac qui bouffe Ferenc, qui le bouffe par l'organe de la nourriture, justement, si bien que Natacha, la femme de Ferenc, n’a plus très envie de manger, n'a plus très envie de la manger, la vie. Car Ferenc va mourir. Trois ans, tout au plus, c’est ce qu’ont dit les médecins. Ferenc, son premier, son unique amour. Et puis Ferenc part avec une autre. Avec la maladie. Et contre la maladie, aucune femme n'est à la hauteur. Il refuse de voir Natacha le voir décliner, faiblir, s’user, mollir.
Et Natacha se heurte à l’angle rugueux du monde. Se heurte aux autres hommes sans oublier Ferenc. Se heurte à son envie de mort. Entreprend une thérapie. Ne retrouve pas, au début, ce désir de créer qu'elle possédait avant Ferenc, quand elle était inscrite aux Beaux-Arts. Ce désir de créer qui pourrait seul, peut-être, la créer. La sauver. Et puis Ferenc lui téléphone. De plus en plus souvent. De plus en plus longtemps. Et ils vivent une union de voix, de souffle, d’haleine. Leur chambre, la chambre d’écho, celle du combiné. Leur liaison, celle du fil qui court de l’un à l'autre. Ferenc ne dévoilera jamais le lieu d'où il appelle. Il faudra bien qu’un jour Natacha trouve le courage de couper le cordon…