Le défi
de Gabriel Matzneff

critiqué par Dirlandaise, le 22 août 2010
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Son tout premier livre
Tout premier livre de monsieur Matzneff, il s’agit d’une suite d’articles regroupant déjà les thèmes ou plutôt les obsessions caractérisant l’œuvre à venir de l’auteur : la recherche du bonheur, l’amitié sincère, la liberté de pensée, le rejet du monde adulte, le courage d’être soi malgré la désapprobation de la société, l’hypocrisie des dévots, le suicide, l’importance de l’unité de l’Église, le nihilisme russe, le rôle du philosophe dans la société, les passions qui donnent un sens à la vie etc.. Les deux derniers chapitres sont consacrés au suicide chez les Romains et au récit de la dispersion des cendres de l’écrivain Henry de Montherlant parmi les vestiges de la Rome païenne.

Ces billets ont été écrits entre 1959 et 1964 donc il faut les replacer dans leur contexte. Comme il l’avoue lui-même dans une de ses préfaces (le livre en comporte trois de la main de l’auteur, une pour chaque réédition), l’écriture comporte des balourdises et un peu trop de drapé et de rhétorique. Il avoue n’avoir pas su résister à la tentation de faire du style. Pourtant, je n’ai pas éprouvé d’irritation à le lire, comment le pourrais-je puisqu’il est et demeurera sans nul doute un de mes auteurs favoris ? En effet, comment résister à une telle sincérité, à un cœur qui s’ouvre de si belle façon. Mais ce n’est pas encore le Matzneff éblouissant que je connais, créateur de phrases lumineuses, aériennes, presque irréelles par leur beauté et leur délicatesse poétique, des phrases qui nous emportent dans un monde inaccessible au commun des mortels et aux âmes noires qui rampent par millions sur cette terre.

Les articles que j’ai préférés sont bien entendu les deux derniers et en particulier « Le tombeau de Montherlant » qui malgré son côté tragique, est saupoudré d’humour et pourvu de rebondissements rocambolesques. Son carnet vénitien est également très beau de même que « L’ombre d’une ombre » qui traite de la sincérité en amitié. « Le goût du bonheur » m’a ravie et « Pour un mort de treize ans » littéralement bouleversée.

Un livre fort intéressant pour la diversité des thèmes abordés, pour l’écriture déjà supérieure et pour l’érudition impressionnante de cet homme, amoureux de la vie mais qui sera toujours hanté par la tentation du suicide, cette liberté dernière, cette porte de sortie que paradoxalement, il ne choisira jamais d’ouvrir, heureusement.

« La rencontre d’un jeune esprit et d’une grande œuvre est toujours dans l’histoire de la pensée humaine un moment important et unique. Mais, dans l’ordre du cœur comme dans celui de l’intelligence, nous devons mériter nos rencontres. Le chemin de la connaissance, plus encore peut-être, que celui de l’amour, est aride, difficile, semé d’embûches et de chausse-trapes. Pour s’y aventurer, il ne faut pas craindre l’effort, la douleur et la solitude. Ceux qui prétendent le contraire sont des imposteurs et des faussaires. Hélas ! notre temps est celui de l’imposture et de la fausseté. Le temps du désespoir de poche. »

« Dans une société que dominent la vanité, la brigue et l’âpreté au gain, celui qui, par tempérament ou par philosophie, témoigne le mépris le plus franc à ces moteurs accoutumés des actions humaines et leur préfère les chimères passionnées de sa jeunesse fait curieuse figure. On l’appelle un adolescent attardé, un hurluberlu, un romantique, ce qui n’est pas sans fondement, puisque notre original peut dire avec Manfred : « My joys, my griefs, my passions and my powers made me a stranger… » »