Le père de la petite
de Marie Sizun

critiqué par Ori, le 20 août 2010
(Kraainem - 89 ans)


La note:  étoiles
Encore un Marie Sizun qui vous noue la gorge
De la même veine que « La femme de l’Allemand », ce bref roman est fait de courtes phrases, lapidaires et précipitées, à l’image des petites touches nerveuses que porterait sur la toile un peintre construisant son œuvre, dans ce cas, un chef d'oeuvre !

Le lecteur est ici prisonnier du désarroi d’une fillette attendant, peu avant 1945, le mythique retour du père, invalide de guerre, qu’elle n’a pas encore connu. Marie Sizun nous met en présence des enthousiasmes contrariés de la petite, bouchon flottant entre ses deux parents, enfin réunis, mais vite en conflit.

Jetée au milieu du couple qui se déchire, la petite perçoit le drame sans le comprendre, contribuant sans le savoir à précipiter la rupture de ses parents, que tour à tour elle ignore ou adore …

L’on se surprend à souffrir très fort avec la petite et ses attentes déçues, son incompréhension du mystère des relations d’adultes, son immense besoin d’amour et d’attention, et finalement, sa collection de souvenirs épars mais précis qu'elle aura amassés malgré elle et qui fonderont son triste bagage, hérité de l’enfance.

Après avoir tourné la dernière page, nous ne pouvons nous défaire d’une vive émotion qui perdure … Encore un grand roman de Marie Sizun.
écriture soignée pour un "langage naïf" 9 étoiles

Ce n’est pas l’enfant qui raconte, mais une voix extérieure qui la connaît bien, au point de noter ses oublis et ses sentiments ultérieurs : « plus tard la petite comprendra etc. »

Au départ, une histoire de couple entre la mère et l’enfant, dans une entente parfaite : La petite jouit d’une liberté dont elle ne connaît pas les limites, affranchie des règles de la vie en société. C’est pourquoi le retour du père, ex-prisonnier de guerre, va rompre cette harmonie initiale, père d’abord redouté pour des remarques sévères, puis accepté et aimé en raison d’une franchise qui contraste avec les cachotteries de la mère et de la grand-mère.

Le drame de la petite sera de noter tout ce qui lui a paru surprenant pendant la guerre, et d’en parler étourdiment à son père, avec comme résultat de créer des scènes de ménage, voire de mettre en péril l’union parentale.

La langue est d’apparence très simple, comme la petite qui note l’instant, admet sans comprendre, désapprouve d’instinct, parle sans réfléchir, quitte à nourrir plus tard un sentiment de culpabilité devant les inconsciences de son âge.

Le lecteur comprend bien des choses que remarque la fillette, il comble le décalage entre ce qui est perçu, senti, vécu par l’enfant, et les comportements du couple. Tout l’intérêt du récit réside dans cette distance, créée par un langage « naïf », fragmentaire, avec des tours présentatifs, des doubles sujets ou doubles compléments;

Voici l’incipit :

"C’est dans la cuisine de l’appartement, un après-midi d’hiver. Elles sont là toutes les deux, la mère qui repasse son linge debout, si grande et la petite assise dans son fauteuil d’enfant, près d’elle. Elles se taisent maintenant. La petite réfléchit à ce que la mère vient de dire. A la radio tout à l’heure il y avait des informations, des informations sur la guerre, comme toujours. A la fin, la mère avait éteint et, tout en continuant à repasser, elle avait dit quelque chose comme : «  ton pauvre petit papa »… ou bien même : « Quand ton pauvre petit papa reviendra »… Négligemment. Comme ça."

On pénètre ainsi, avec ce livre sobre et bien construit, dans l’esprit de l’enfant, depuis ses premières émotions, et même ses calculs, jusqu’à un âge plus avancé où il juge ses relations avec le père.

Rotko - Avrillé - 50 ans - 24 novembre 2014