Citoyen et sujet - L'Afrique contemporaine et l'héritage du colonialisme tardif
de Mahmood Mamdani

critiqué par Oburoni, le 18 août 2010
(Waltham Cross - 41 ans)


La note:  étoiles
D'un Janus schizophrène au dilemme africain
Mahmood Mamdani, professeur à l'Université de Princeton, spécialiste des questions africaines et considéré par les revues "Foreign Policy" et "Prospect" comme l'un des 100 plus importants intellectuels contemporains tente ici d'expliquer pourquoi les processus de démocratisation ont échoué dans la plupart des pays africains au lendemain de leurs indépendances.

Sa thèse ? Le colonialisme ne fut pas uniquement un système raciste où les Blancs exploitent les Noirs, il fut aussi et surtout rendu possible à travers des politiques bien précises, qui ont entrainé non seulement des divisions ethniques -aux conséquences parfois tragiques- mais aussi une coupure entre le monde rural et le monde urbain; coupure qui est, selon lui, la principale cause de ces échecs.

Explication :

Le partage de l'Afrique a la fin du XIXème siècle rendit nécessaire l'instauration de nouvelles politiques coloniales.
En effet, l'abolition de l'esclavage transforma les colonies; le personnel limité et les problèmes de communication propres aux vastes et difficiles territoires du continent rendirent, quant à eux, le contrôle des indigènes impossible par les politiques centralisées menées jusque là. Des changements furent inévitables. Une solution s'imposa : la décentralisation. Désormais, la ou l'autorité des Blancs ne pénètre pas directement elle s'insinuera via des chefs indigènes et locaux, créés de toutes pièces, qui n'ont rien de traditionnels et se voient octroyer des pouvoirs considérables afin de faire appliquer les directives des instances coloniales, sans le besoin, pour ces dernières, d'être sur place. C'est la politique du corrompre pour mieux concilier, dichotomie où l'Etat, Janus fou, prend deux visages, chacun défini par les identités raciales de ceux qui le composent.
Pensez à l'indigénat : d'un côté des coutumes -fabriquées de toutes pièces par les nouveaux chefs- contrôlent les "sujets" vivant en milieu rural et qui dépendent d'une autorité locale; de l'autre, en milieu urbain, les lois de l'Etat colonial qui s'appliquent uniquement à ceux qui en sont "citoyens".

Une évolution institutionnelle dans laquelle Mahmood Mamdani voit les causes de l'échec post-colonial de certains pays à se démocratiser.

Montrant que ces divisions -citoyens/sujets, monde rural/monde urbain- se reflétèrent jusque dans les mouvements nationalistes et indépendantistes ( il s'attarde particulièrement sur les cas de l'Ouganda et de l'Afrique du Sud; l'un parce que ces luttes y sont apparues en milieu rural, l'autre en milieu urbain ) il démontre pourquoi la plupart de ces mouvements ne pouvaient qu'échouer à gérer l'héritage institutionnel calamiteux de l'ère coloniale.
C'est que le dilemme était de taille, et peu de pays ont su le résoudre.

Allant d'un extrême à l'autre la démocratisation ne pouvait en effet passer que soit par une détribalisation -la transformation radicale du système pour le rendre pareil pour tous, notamment à travers le remplacement des chefs locaux ( l'autorité tribale ) par des cadres administratifs appartenant au gouvernement ( l'autorité centrale ), ce que la plupart -soucieux de leurs privilèges- refusent; soit par la poursuite des politiques coloniales, à savoir le maintien de la décentralisation, avec ses conséquences potentielles, des tensions ethniques au clientélisme.

"D'une part, le despotisme décentralisé exacerbe les tensions ethniques, et donc la solution apparait être la centralisation. D'autre part, le centralisme despotique exacerbe les divisions entre monde rural et monde urbain, et la solution apparait être la décentralisation. Mais comme variantes les deux continuent de tourner autour du même axe -le despotisme."

Un livre difficile à lire, certes, mais duquel ressort une analyse originale, séduisante bien que parfois tirée par les cheveux, qui n'a pas fini d'interroger ceux qui s'intéressent à l'héritage du colonialisme sur l'Afrique contemporaine. Indispensable ? En tout cas un regard à découvrir.